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Comme la plupart des termes issus de noms propres, le "marxisme" a d'abord servi à stigmatiser les partisans des idées de Karl Marx, réduits à des adorateurs de sa personne. Le mot a aussi été beaucoup utilisé pour ouvrir la voie d'un retour possible à l'auteur du Capital contre le marxisme (défini alors comme un "ensemble de contresens faits sur Marx"). À la différence des multiples mobilisations qui cherchent à opposer la vitalité de la pensée individuelle de Marx à un propos nécessairement "dogmatique", Guillaume Fondu place au cœur de l'interrogation ce qui fait l'intérêt du marxisme en tant que tel : la poursuite et la concrétisation d'un discours inspiré de Marx dans des contextes tout à fait différents de celui qui a présidé à la genèse de son œuvre.
Trois moments constitutifs sont placés au centre de l'analyse : l'Allemagne du tournant des XIXe et XXe siècle, la Russie des premières années du XXe siècle et l'Union soviétique des années 1920. De Karl Kautsky à Isaak Roubine, en passant par Rosa Luxemburg, Gueorgui Plekhanov, Rudolf Hilferding, Lénine ou Alexander Bogdanov mais aussi divers romans russes qui mettent en scène les questionnements politiques, Guillaume Fondu remobilise toute une littérature aujourd'hui ignorée en prenant pour fil conducteur la question de la performativité du discours, du lien entre réflexion et action, qui est un enjeu crucial pour toute science sociale.


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Philosophies de Marx, au pluriel. Cela veut dire qu'il y a bien de la philosophie chez Marx, mais que cette philosophie ou plutôt ce philosophique résiste à son unification et s'affirme comme pluriel. Sans doute aura-t-il fallu que l'on renonce à unifier la pensée de Marx en une doctrine pour la redécouvrir comme philosophique.
Franck Fischbach propose d'exposer ce pluralisme philosophique marxien sous trois rapports qui s'imposent plus que d'autres mais qui ne sont pas exclusifs d'autres : la philosophie de l'activité, la philosophie sociale, la philosophie critique. Ce sont trois directions dans lesquelles le philosophique chez Marx a insisté et a cherché à se déployer, mais sans jamais se stabiliser ni s'unifier – sinon peut-être tendanciellement dans la troisième perspective, qui ne désigne cependant pas une doctrine mais une attitude critique.
Plus qu'une philosophie, ce que Marx nous a transmis est une certaine pratique de la critique dans la théorie (qu'on peut appeler "philosophie") et la tentative de l'articuler aux pratiques sociales elles-mêmes critiques.


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Partout en Europe, les partis sociaux-démocrates ne semblent concevoir leur avenir que dans une stratégie de validation des politiques de droite. En ce sens, l'exemple anglais nous donne à voir une mutation "chimiquement pure".
Le 4 juillet 2024, le Parti travailliste remporte une victoire éclatante aux élections nationales, obtenant l'une des plus larges majorités de l'histoire du Royaume-Uni. Keir Starmer a réussi son pari de ramener le Labour au pouvoir après 14 ans d'opposition. Sa stratégie de recentrage du parti vers des positions plus modérées et sa détermination à résoudre les dissensions internes semblent avoir porté leurs fruits.
Mais derrière cette image de compétence et de sérieux se cache une tout autre réalité. Celle d'un homme qui se sera d'abord présenté comme l'héritier d'une gauche progressiste, avant d'abandonner la quasi-totalité de ses engagements pris lors de son élection à la tête du parti. Un leader intransigeant envers ses propres troupes, qui n'aura pas hésité à expulser brutalement les voix s'écartant de sa ligne. Une politique présentée comme pragmatique mais qui semble surtout se caractériser par une continuité surprenante avec les orientations des gouvernements conservateurs précédents.
Est-ce vraiment pour cela que les électeurs ont voté ? C'est pour comprendre les paradoxes de ce succès que Cyril Richert propose de se plonger dans l'analyse des transformations de la gauche britannique sous la direction de Keir Starmer durant les années qui l'ont conduit au pouvoir.


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À l'aube du XXe siècle, une femme émerge dans la vie politique allemande : Rosa Luxemburg (1871-1919).
Radicale (au sens où elle veut traiter à la racine les problèmes qu'elle combat), elle ne croit pas à la réforme du capitalisme et défend la révolution. Viscéralement attachée à la liberté, elle dénonce aussi bien l'abandon du pacifisme par les socialistes en 1914, que la violence répressive du régime soviétique naissant. Étonnamment moderne, elle est l’une des rares, parmi les socialistes, à dénoncer le colonialisme, ses effets délétères sur la nature et les communautés extra-européennes.
Assassinée quelques jours après avoir fondé le parti communiste allemand, elle devient une icône, célébrée dans le monde entier, et reste aujourd'hui encore une figure particulièrement inspirante, tant elle nous aide à penser l'orage contemporain.


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Théorie du genre, privilège blanc, intersectionnalité, écriture inclusive, cancel culture… Tous ces concepts et expressions sont régulièrement mis dans le même sac, voire moqués et caricaturés.
Mais concrètement, qu'est-ce que le wokisme ? Pour certains, rien moins qu'une censure, une idéologie (proto)totalitaire comparable aux pires dérives intellectuelles du XXe siècle. Pour les autres, c'est le devoir d'ouvrir les yeux sur les enjeux du racisme, du genre, du féminisme et de la question post-coloniale.
L'occasion était toute trouvée de débattre du sujet en compagnie de Nathalie Heinich et Romuald Sciora, en évitant les caricatures et l'hystérisation du débat.


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C'est à l'occasion de la nouvelle édition de son livre Misère du nietzschéisme de gauche, de Georges Bataille à Michel Onfray que l'essayiste et fondateur des éditions Delga Aymeric Monville vient nous parler de l'étonnant Nietzsche !
Andler, Palante, Blanchot, Camus, Bataille, Deleuze, Foucault, Derrida, furent autant de grands prêtres d'un culte devenu religion officielle : le "nietzschéisme de gauche". Passé dans les mœurs modernes, ânonné par les managers, les magazines télévisés, les hommes politiques autant que par Michel Onfray, ce retour de Nietzsche par la gauche autorise le consensus irrationaliste, individualiste et anticommuniste, de la "gauche morale" à la réaction. Ce recyclage philosophique a un but : détruire au sein de la gauche le matérialisme des Lumières et in fine l'ensemble de la philosophie issue du marxisme et du mouvement ouvrier.
Comment comprendre cette postérité extravagante du solitaire de Sils-Maria ? Aymeric Monville revisite avec acuité cette réception si particulière de Nietzsche en France.


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À partir des années 1930, la découverte des textes de jeunesse de Marx (les Manuscrits de 1844 et L'Idéologie allemande) amorce une réflexion sur la place de l'humanisme dans le marxisme, qui culmine vingt ans plus tard avec Jean-Paul Sartre et Georg Lukács qui, chacun à sa manière, tentent alors de réintroduire la subjectivité individuelle et son irréductible liberté dans une conception matérialiste et révolutionnaire de l'histoire. Il s'agit de régénérer un projet d'émancipation individuelle et collective après la terrible période de glaciation stalinienne.
Mais quelle est la marge de manoeuvre des humains face aux forces sociales qu'ils engendrent par leur activité ? Comment concilier révolution et démocratie ?


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On a parfois reproché au philosophe sa méconnaissance de l'art et de son histoire. On peut également reprocher à l'histoire de l'art de ne pas avoir mesuré que l'art n'est pas seulement constitué d'oeuvres mais aussi de mots pour les dire, de concepts pour les catégoriser, de théories pour les penser. Car si la philosophie de l'art sans histoire de l'art est vide, l'histoire de l'art sans philosophie de l'art est aveugle.
C'est à partir de ce double constat que Carole Talon-Hugon a entrepris d'élaborer une histoire philosophique de l'art occidental, depuis l'Antiquité grecque jusqu'à nos jours : autrement dit d'étudier le développement des arts et la succession des styles en relation avec l'atmosphère théorique où ils se sont produits, et de dessiner les contours des grands paradigmes artistiques qui se sont succédé.