Depuis une quinzaine d'années, les parutions de nombreux écrits de Heidegger ont révélé la radicalité de son national-socialisme et de son antisémitisme. Ses défenseurs se sont alors raccrochés à l'intensité de sa réception, pour tenter de sauver son statut de grand penseur. Parmi ceux-ci, Hannah Arendt est sans conteste celle qui aura le plus contribué, après 1945, à la diffusion planétaire de sa pensée.
À la lire, on se heurte cependant à une question qui sera l'une des interrogations directrices du travail d'Emmanuel Faye : comment un même auteur a-t-il pu concilier la défense hyperbolique de Heidegger et la description critique du totalitarisme national-socialiste, en particulier dans son rapport sur le procès Eichmann ? Arendt semble en effet se contredire : d'un côté, ses études de la dynamique destructrice des mouvements hitlérien et stalinien au XXe siècle, qualifiés par elle de totalitaires ; de l'autre, son apologie de Heidegger en 1969 pour ses quatre-vingts ans.
Pour Emmanuel Faye, cette contradiction n'est qu'apparente, et l'interprétation par Arendt du national-socialisme et le fait d'exonérer Heidegger de toute responsabilité sont intimement liés.
Denis Kambouchner nous présente, avec clarté et distinction, quelques aspects de la pensée du fondateur de la philosophie française, à savoir René Descartes.
Il revient notamment sur les idées fausses les plus répandues à son propos, souvent colportées par ses détracteurs, afin de nous faciliter la réappropriation de cette pensée fondatrice du rationalisme, dans des circonstances qui nous la rendent plus nécessaire et positivement bénéfique que jamais.
De ses origines philosophico-théologiques allemandes jusqu'à son marxisme lénifiant, variante académique du marxisme de chaire, le philosophe Bernard Bourgeois nous présente sa -sévère- critique de l'École de Francfort.
Car cette école de pensée "critique-critique" s'est, bien malheureusement, répandue dans l'université, des deux cotés du Rhin...
Dans l'histoire de la philosophie, le réalisme désigne la position qui affirme l'existence d'une réalité extérieure indépendante de notre esprit. Cette position affirme également que le monde est une chose et que nos représentations en sont une autre.
Depuis l'interpréation douteuse qu'en a proposé Fichte, Kant est resté assigné à la catégorie des idéalistes.
Bernard Bourgeois, grand spécialiste de l'histoire de la philosophie allemande moderne, entend ici démontrer que Kant appartient pourtant bien à la tradition réaliste lorsqu'il est compris correctement, et que sa philosophie s'oppose même frontalement à l'idéalisme et à ses conséquences les plus néfastes.
Depuis plusieurs années déjà s'élèvent des critiques d'une radicalité inouïe contre le cœur même de l'héritage des Lumières : le rationalisme, le progressisme, l'universalisme. Ces critiques se revendiquent de l'émancipation des dominés, marqueur traditionnel des différents courants de gauche.
Mais s'inscrivent-elles dans le prolongement de celles qui, depuis l'émergence des mouvements socialiste, communiste ou anarchiste, avaient pour horizon un prolongement et un élargissement des combats des Lumières "bourgeoises" ? Il est malheureusement à craindre que non.
Une partie de la gauche est-elle dès lors en train de se renier elle-même ?
Dans son livre Philologie et Liberté, récemment traduit au éditions Delga, Luciano Canfora établit explicitement le lien entre l'analyse rigoureuse des textes –la philologie– et l'indépendance et la fierté intellectuelle, cette liberté de pensée qui est la grande réalisation de l'époque moderne.
En septembre 1943, Pie XII publie une encyclique, Divino afflante spiritu, pour proclamer que la critique des textes dits "sacrés" est une pratique légitime. Cette concession tardive a permis de "dédouaner" la plus subversive des disciplines, la philologie, et a autorisé les chercheurs à soumettre la "parole de Dieu" à une analyse critique. Mais le chemin vers ce document papal historique fut laborieux, dégoulinant de censure et de répression de la liberté de pensée.
À travers l'histoire fascinante des disciplines philologiques, des premiers spécialistes de l'Écriture Sainte qui ont osé soumettre des textes intouchables à Érasme de Rotterdam, Spinoza et Giordano Bruno, des obscurs copistes médiévaux qui ont sauvé les grands écrits de l'Antiquité aux philologues de l'époque moderne qui ont rétabli la vérité historique de l'écriture et de la tradition contre les mystifications idéologiques ou religieuses, Luciano Canfora montre comment la philologie est une pratique de la liberté intellectuelle, de l'indépendance de la recherche et du droit des hommes à la vérité contre tout obscurantisme.
Un livre ici présenté par son éditeur et traducteur Aymeric Monville ainsi que le professeur Luigi-Alberto Sanchi, helléniste reconnu.
Les ouvriers polonais souhaitaient en août 1980 élargir les conquêtes sociales de la Pologne populaire et créer un syndicat garantissant la formation d'un socialisme autogestionnaire correspondant au niveau d'éducation atteint par la société. Mais les intellectuels révisionnistes, qui avaient auparavant développé des contacts étroits avec les élites occidentales, ont réussi à profiter de l'inexpérience politique des grévistes pour acquérir une influence sur la direction de Solidarnosc et devenir les intermédiaires obligés du pouvoir. Lequel pouvoir tentait de rétablir un minimum de confiance et d'ordre pour négocier avec les puissances capitalistes. Puissances qui ponctionnaient les richesses de la Pologne, tombée alors dans la spirale de l'endettement, tandis que les cercles réactionnaires occidentaux profitaient de la tension pour tenter de délégitimer le marxisme avec l'appui des gauches anticommunistes.
Ces objectifs contradictoires firent tomber le pays dans une instabilité pour laquelle la direction de Solidarnosc porte une grande responsabilité, ce qui a entraîné la proclamation de la loi martiale et cassé le syndicat en perte de légitimité. Sous couvert d'aide au syndicat réprimé, les partisans de la guerre froide ont pu financer et récupérer les structures résiduelles de Solidarnosc et ses dirigeants se sont alignés sur la logique néolibérale au moment où la nomenklatura postcommuniste envisageait de stabiliser sa domination en intégrant les réseaux de pouvoir mondialisés, ce qui déboucha sur les accords de la "table ronde" qui ont fait basculer la Pologne dans le capitalisme...
La reconnaissance des crimes sexuels perpétrés sur les plus jeunes est récente. Il a fallu le long travail des médecins, des magistrats et des intellectuels pour que, une fois les actes déterminés et les caractéristiques de la pédophilie établies, la société se soucie de protéger les enfants. Véritable baromètre des mœurs, les réactions au crime sexuel sur enfant esquissent l’histoire morale, culturelle et juridique d'une si longue indifférence envers les agressions sexuelles.
Le travail d'Anne-Claude Ambroise-Rendu en donne les clés en ce qu'elle ne se contente pas de faire choir de leur piédestal quelques amateurs de jeunes chairs qui, à l'instar d'André Gide, profitèrent de l'aveuglement des parents, mais nous révèle comment hier encore le silence écrasait les victimes et profitait aux agresseurs. Il nous apprend surtout que le "pédophile", identifié par la psychiatrie, n'a pas toujours été condamné par les médias qui en font aujourd'hui la figure du mal absolu.
Il était temps de faire la lumière sur des comportements aussi anciens et répandus et de nous rappeler que la criminalité sexuelle n'est pas le fruit amer d'une époque dépravée. Cette époque, notre époque, aura eu le mérite d'affronter ce problème.