Le mot beauf qui à l'origine désignait le beau frère est entré dans le langage courant pour désigner la caricature d'un français moyen, réactionnaire, un peu bête, borné, macho, vulgaire… On pense alors au fameux tonton raciste ou à Kevin qui a un mulet, de grosses lunettes de soleil et fait du tuning….
Mais cela va encore plus loin, puisque petit à petit, le beauf devient l'autre, celui auquel on ne veut pas ressembler, celui qui n'a pas les bons goûts, la bonne culture, les bonnes opinions. Les beaufs n'existent que dans le regard de la société.
Dans son livre Ascendant Beauf, Rose Lamy démontre que la figure du beauf est surtout un outil de domination et de fabrique du mépris social. En se moquant des beaufs, on se moque aussi des classes populaires, on se désensibilise de leur sort. En revenant sur son histoire personnelle, l'autrice raconte tout ce qui se cache derrière l'image du beauf : une existence déterminée par la classe sociale, les morts prématurées, les emplois aliénants, les déserts médicaux. L'humiliation permanente…
Pourtant, le dessinateur Cabu, qui a en partie créé ce personnage le disait "on est tous le beauf de quelqu'un". Pour le sociologue Gérard Mauger cité dans le livre "la figure du beauf produit simultanément une représentation stigmatisée des classes populaires et une représentation enchantée de soi-même comme l'envers du groupe stigmatisé". Le beauf en dit donc beaucoup sur la personne qui juge, la condescendance lui donne une forme de supériorité morale et intellectuelle mais tout ceci a des conséquences bien réelles. "Nous sommes toutes et tous à la fois bourreaux et victimes de l'oppression de classe" écrit Rose Lamy.
Alors pourquoi est-ce problématique d'utiliser le mot beauf ? En quoi cette figure est-elle devenue un bouc émissaire ? Comment questionner ce mépris social ? Et comment l'extrême droite profite en partie de la stigmatisation des beaufs et donc des classes populaires blanches ?
Un entretien mené par Paloma Moritz.
L'hellénisme et le christianisme se disputent l'âme de l'Occident depuis deux mille ans. Une lutte féconde, mais jamais achevée, puisqu'elle oppose deux idées contraires : d'un côté la primauté de la raison gréco-romaine, de l'autre la primauté de la révélation judéo-chrétienne. La Cité des hommes contre la Cité de Dieu, selon le point de vue chrétien. Le Moyen Âge nous apparaît comme le triomphe du christianisme, et la Renaissance comme celui de l'hellénisme.
En analysant les entrelacements historiques de ces deux courants qui irriguent notre civilisation, nous pourrons savoir qui nous sommes, d’où nous venons et où nous pouvons aller.
Directeur de recherche CNRS à l'École normale supérieure de Lyon, Bernard Lahire a publié une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels Les Structures fondamentales des sociétés humaines (La Découverte, 2023) et Vers une science sociale du vivant (La Découverte, 2025).
L'homme est une espèce sociale, culturelle, et historique, mais il n'est pas moins déterminé que les animaux, et Bernard Lahire nous permet de saisir à quel point notre biologie détermine nos comportements sociaux.
Comprendre nos déterminismes et leurs effets sociaux est indispensable pour comprendre le monde, et l'orienter vers plus de justice.
- 0'00'00 : Zapping
- 0'01'25 : Pourquoi chercher des lois générales ?
- 0'04'06 : Les angles morts de la sociologie
- 0'16'07 : Le rejet du déterminisme
- 0'22'04 : L'erreur de la dichotomie nature/culture
- 0'34'23 : Les comparaisons inter-sociétés et inter-espèces
- 0'54'42 : La notion de nature humaine
- 1'03'30 : Un fondement des sociétés humaines : l'altricialité secondaire
- 1'12'42 : La domination et le magico-religieux
- 1'27'09 : L'opposition "eux" contre "nous"
- 1'35'59 : Comment transformer le monde ?
- 1'39'57 : Question finale
Un entretien mené par Carla Costantini.
S'il y a bien une tradition séculaire d'islam européen dans les Balkans, en Europe occidentale par contre l'islam s'est implanté de manière démographiquement significative à partir d'une immigration de travail durant deux décennies (1955-1975). La question "Islam en Europe ou islam européen ?" s'est seulement posée à partir de la seconde génération. Les membres de cette génération élevés dans la culture et les langues européennes se sont coupés de l'islam culturel de leurs parents. Ils ont le choix entre l'intégration par la sécularisation ou bien la reconstruction d'un islam détaché des cultures d'origine.
Mais cet islam "européen" tend à prendre des formes différentes :
1. un réformisme plutôt libéral, où l'on parle de valeurs communes
2. une réislamisation par l'autonomisation de marqueurs religieux (voile, hallal) appliqués à des pratiques occidentales, mais demandant à être reconnus dans un cadre multiculturaliste
3. un fondamentalisme littéraliste, où les normes, détachées de leur contexte culturel, s'appliquent de manière stricte à une communauté qui se tient à l'écart de la société dominante
Ce qui manque c'est la reconnaissance de l'islam comme "religion" au même titre que les autres. La question de ce que veut dire la liberté religieuse reste dès lors ouverte en Europe.
Le récent tournant ontologique d'une partie de l'anthropologie a conduit certains à avancer qu'il existait une pluralité d'ontologies irréductible à une simple pluralité de cultures ou de représentations.
Dans un premier temps, Martin Fortier se propose d'évaluer cette rupture épistmémologique à partir de deux auteurs qui y prennent une place importante : Eduardo Viveiros de Castro et Philippe Descola.
Dans un second temps, c'est Philippe Descola lui-même qui présente ses thèses et répond à certaines des critiques qui lui sont adressées.
L'occasion de réfléchir en profondeur sur les implications conceptuelle, ethnographique et cognitive du tournant ontologique en anthropologie.
Dans la rhétorique du choc des civilisations qui servait hier à justifier la mal nommée "guerre contre le terrorisme" et aujourd'hui la répression génocidaire à Gaza, un concept se trouve depuis une quarantaine d'années mobilisé : celui de la "civilisation judéo-chrétienne". Ce contre-sens historique est porté aujourd'hui en étendard par les droites extrêmes et les extrêmes droites occidentales, de Bruno Retailleau jusqu'à Benyamin Nétanyahou.
À quoi renvoie au juste ce concept ? Que signifie cette appropriation récente par la culture européenne et nord-américaine de la judéité, après une histoire pluriséculaire de pogroms anti-juifs sur le Vieux continent ? Quels en sont les mécanismes ? Et contre quels nouveaux ennemis de l’Occident ce doublon est-il mobilisé ?
- 0'00'00 : étrange histoire, étrange géographie
- 0'07'37 : anti-judaïsme
- 0'14'14 : antisémitisme
- 0'18'30 : nazisme
- 0'21'58 : une invention orientale
- 0'24'22 : sionisme, nationalismes
- 0'31'09 : moment Eichmann
- 0'36'44 : l'Europe se restaure une innocence
- 0'41'48 : "Innocence ontologique"
- 0'48'36 : colonialisme
- 0'55'56 : monde Arabe
- 1'03'38 : sionisme chrétien
- 1'08'25 : diaspora
- 1'13'40 : et l'extrême droite ?
Émission "HorizonsXXI", animée par Sarra Grira.
Pourquoi cette obsession pour l’identité, relativement récente tant dans le débat public que dans la recherche en sciences humaines ?
On la pense souvent confinée à droite, nation, terroir, race mais elle surgit à gauche tant dans le multiculturalisme que dans le débat sur le genre. Elle se réfère au groupe, où elle marque plutôt l'essentialisme et l'immanence du collectif, mais aussi à l'individu où paradoxalement elle est corrélée au choix et à la liberté. La religion s'en empare ou plutôt elle s'empare de la religion : l'identité chrétienne de l'Europe est désormais affaire de racines plus que de foi, et indique donc une absence plus qu'une présence.
Olivier Roy défend la thèse que cette inflation identitaire marque une crise profonde non seulement des cultures (nationales ou autres) mais de la notion même de culture.
"Qu'est-ce que signifie être français ? Quels droits cela confère-t-il ? Quelles obligations cela implique-t-il ?" a lancé François Bayrou, le 7 février dernier sur RMC, invitant à une réflexion nationale sur le sujet dans les mois à venir, ainsi que Nicolas Sarkozy l'avait fait lors de son quinquennat. Une fois de plus les questions migratoires, le droit du sol, et les affaires d'OQTF se retrouvent sur le devant de la scène médiatique et politique, dans une France où le vote d'extrême droite explose. De quoi cette obsession est-elle le nom ? Vraie question pour l'avenir d'un pays fracturé, ou diversion utilisée par un pouvoir très impopulaire dans une France au bord de la récession ?
Émission "L'Explication", animée par Aude Lancelin.