Les praticiens l'ont toujours su. Dans toute philosophie, concédait Sartre, il y a "une prose littéraire cachée". Ce qu'on a moins élucidé, c'est la pression formatrice incessante des formes du discours, du style, sur les programmes philosophiques et métaphysiques.
A quels égards une proposition philosophique, même dans la nudité de la logique de Frege, est-elle une rhétorique ? Veut-on dissocier un système cognitif ou épistémologique de ses conventions stylistiques, des genres d'expression qui prévalent ou sont contestés à l'époque ou dans le milieu qui sont les siens ? Dans quelle mesure les métaphysiques de Descartes, Spinoza ou Leibniz sont-elles conditionnées par les éléments constituants et l'autorité sous-jacente d'une latinité partiellement artificielle au sein de l'Europe moderne ? Quand, tels Nietzsche et Heidegger, le philosophe entreprend d'assembler une langue nouvelle, son idiolecte propre à son dessein est lui-même saturé par le contexte oratoire, familier ou esthétique.
L'association étroite de la musique et de la poésie est un lien commun, toutes deux partageant les catégories du rythme, du phrasé, de la cadence, de la sonorité, de l'intonation et de la mesure. "La musique de la poésie" est exactement cela.
Y aurait-il, en un sens apparenté, "une poésie, une musique de la pensée" plus profonde que celle qui s'attaque aux usages extérieurs de la langue, au style ? Ces aspects de la "stylisation" de certains textes philosophiques, de l'engendrement de ces textes via des outils et des modes littéraires, George Steiner nous les restitue dans son souci d' "écouter plus attentivement".
La controverse est violente. Depuis que le gouvernement a publié, en février 2018, son nouveau plan national d'action sur le loup, la presse se fait l'écho, notamment du côté des quotidiens régionaux, de l'antagonisme brutal qui oppose à nouveau, dans les parties du territoire concernées, les éleveurs et les avocats d'une biodiversité préservée ou reconstituée.
Le retour organisé du loup dans diverses zones montagnardes, que les sensibilités écologistes saluent avec ferveur, est voué à exaspérer les bergers parce qu'il entraîne des dommages sensibles parmi les troupeaux de moutons. Il n'y aurait, aujourd'hui, qu'environ quatre cents loups en France. On nous dit qu'il en faudrait cinq cents pour que l'espèce soit durablement viable. À quoi les éleveurs opposent la longue liste, éprouvée comme insupportable, de leurs moutons égorgés.
Voilà bien un remarquable concentré des contradictions auxquelles notre époque est confrontée. Mais voici aussi une belle occasion de revenir sur la figure du loup à travers les âges, du loup en face de l'homme, qui a porté sur lui un regard très changeant. Ce regard est passé, selon les époques, de la curiosité à l'effroi, de la haine au respect, du rejet absolu à une fascination quasiment affectueuse. La littérature n'a pas cessé de se saisir de cet animal toujours ambivalent, le christianisme en a fait longuement l'objet de ses imprécations, tandis que dans l'Antiquité la prodigieuse histoire de Rome a pris naissance sous les auspices généreux de la louve qui a sauvé les fondateurs Remus et Romulus...
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
Notre conseiller historique, pour cette série d'émission, est Michel Pastoureau. Conseiller historique ? Mieux encore ! Sur le sujet des maîtres-livres du Moyen Age, un maître-es-arts. Un guide sur les routes où les jongleurs nous attendent pour réciter leurs strophes. Un poisson-pilote qui nous fera distinguer les sources des grands textes du lit des fleuves où ils se glissent. Un jongleur qui attirera les voyageurs par ses récits.
Il y aura des batailles si merveilleuses et si puissantes que rien de si fort ne fut avant ni depuis. Mais Michel Pastoureau contera aussi les ruses de Renart qui n'ont pas besoin d'autres armes que celles de l'intelligence. Il y aura des bêtes rêvées et d'autres réelles et encore des animaux au statut indéterminé comme la licorne, à moins que ce ne soit l’unicorne. Il y aura, dans les chansons de geste, des héros tout d'une pièce comme Roland et d'autres, dans les légendes arthuriennes, qui seront plus subtils. Dieu sera avec eux ou aussi bien les laissera crier en vain dans le désert.
Émission "La Marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.
Connaissons-nous George Steiner ? L'arpenteur de toutes nos cultures, présentes et passées, le philosophe qui nous convainc que penser c'est aussi dialoguer avec d'autres langues, d'autres cultures. Car pour Steiner, le don des langues dont il est doté c'est la jubilation de communiquer le savoir le plus érudit mais c'est aussi le talent sans égal de raconter la pensée, de la mettre en scène, d'en faire un événement.
Il est l'homme aussi bien de l'essai, du récit, de la critique que du roman - pour ce qui relève de la forme - ; quant à son "matériau", en définir les contours reviendrait à défier la Culture même.
Pour celui qui "a commis l'indiscrétion d'être juif", le cour de l'oeuvre est habité par "la volonté d'être présent", dans tous les sens du terme, "après la Shoah". Est-ce à cet héritage talmudique que nous lui devons ce statut de maître de lecture ? Un maître qui nous fait la courte échelle pour gravir des sommets autrement inaccessibles.
Une échange avec Pierre-Emmanuel Dauzat, modéré par Valérie Marin La Meslée.
Critique, philosophe, professeur de littérature anglaise et comparée à Genève, écrivain, interprète de l'art et questionneur de la civilisation occidentale finissante, George Steiner se définit avant tout comme un "maître à lire".
Dans cette série de treize entretiens menée par Guillaume Chenevière, cet intellectuel érudit évoque ses thèmes de prédilection : le langage, la tragédie, la pensée et le pouvoir, le silence après la barbarie de la Shoah et le monde futur.
Le théâtre est-il toujours au centre de la cité pour y débattre des passions et des enjeux de l'époque ? Entre un théâtre privé et ses priorités économiques qui invitent à la prudence et un théâtre public en attente de subventions, reste-t-il une place pour un engagement politique sans condition sur la scène ?
Juan Branco, David Ayala et François Bégaudeau se demandent, en grands défenseurs des libertés de pensée et d'expression, si le théâtre est encore le bon endroit pour ébranler les certitudes et l'inertie de la société.
Un débat qui s'est tenu au Théâtre de l'Oulle.
Pourquoi l'alimentation est à l'origine des biens communs de l'humanité ? Comment les puissants, avec les rituels de la table et les politiques alimentaires, sont parvenus à construire l'(in)égalité des humains ? Qui, après avoir imposé au peuple de manger du pain, a voulu lui interdire les châtaignes et généraliser la pomme de terre ?
Au-delà des histoires sociale, religieuse ou culturelle de l'alimentation, Paul Ariès retrace son histoire politique, jamais traitée à ce jour. Une travail qui est le fruit de trente ans d'enseignement et de recherches, dans lequel il montre comment la table française reste largement tributaire des tables passées.
En quelques décennies, tout a changé : la France d'autrefois et sa matrice catho-républicaine s'est complètement disloquée. C'est un archipel d'îles s'ignorant les unes les autres qui se dessine sous nos yeux.
Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop, envisage d'abord les conséquences culturelles et morales de cette érosion, et il remarque notamment combien notre relation au corps a changé (le développement de certaines pratiques comme le tatouage et l'incinération en témoigne) ainsi que notre rapport à l'animalité – le veganisme et la vogue des théories antispécistes en donnent la mesure.
Mais, plus spectaculaire encore, l'effacement progressif de l'ancienne France sous la pression de la France nouvelle induit un effet d' "archipelisation" de la société tout entière : sécession des élites, autonomisation des catégories populaires, formation d'un réduit catholique, instauration d'une société multiculturelle de fait, dislocation des références culturelles communes.
Où allons-nous, dans tout cela ?
Une rencontre animée par Jérémie Peltier.