Le prodige de l'origine des langues ne se réitère pas seulement devant nous chaque fois qu'un enfant commence à parler : il se réitère en nous et par nous chaque fois que nous prenons la parole, que nous répondons à une question posée ou que nous nous mettons à écrire. Cette liberté que nous découvrons chez les nouveaux-parlants ne nous est pas étrangère ; c'est elle qui nous porte depuis longtemps, nous les vieux-parlants. Mais si familière soit-elle, elle nous échappe en partie à nous-mêmes.
Quelle leçon faut-il tirer de tout cela ? A coup sûr, il importe de renoncer aux rêveries historiques ou poétiques sur la "langue originaire" et d'accepter que nous nous situions "au milieu de l'histoire". Mais cela n'implique pas qu'on doive renoncer à toute forme de sensibilité à la question de l'origine. Même si on doit renoncer à expliquer "le mystère de la formation des langues", il peut y avoir, au milieu même de l'histoire, un "prodige de l'origine". Il y a des événements qui sont à la fois seconds par rapport à une origine antérieure et qui, tout en étant des recommencements, sont aussi de vrais commencements absolus.
Une conférence du séminaire "Formes symboliques" organisée par le laboratoire "Linguistique, Anthropologique, Sociolinguistique" de l'équipe de recherche de l'Institut Marcel Mauss.
L'écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) n'aura cessé d'exprimer la nécessité de trouver une langue qui ne soit pas artificielle, une langue juste, toujours plus singulière tant par son rythme que par sa construction.
"Un français de plein air" que Ramuz disait avoir trouvé en prenant exemple sur la liberté de parole des Parisiens...
Depuis les Homérides de l'Archipel, un tel jet de poésie primitive n'avait pas coulé. "C’est Homère !", s'était écrié Lamartine à la découverte de Mireille.
D'inspiration gréco-latine, la poésie de Frédéric Mistral n'est aucunement un simple divertissement bucolique, elle est une œuvre sacrée autant qu'un fait politique et civique. En ce sens, comme Homère fut, selon Platon, "l'éducateur de la Grèce", Mistral, à la fois classique et romantique, fut l'éducateur de la Provence.
Rémi Soulié nous révèle le fond de cette idée mistralienne qui, à travers le chant épique, réunit à la fois l'appel du divin et de l'enracinement dans une terre et dans une langue.
Émission du "Libre Journal des lycéens", animée par Pascal Lassalle.
Elias Canetti, né à Roussé (en Bulgarie le 25 juillet 1905 et mort le 14 août 1994 à Zurich en Suisse), est un écrivain d'expression allemande, originaire de Bulgarie, devenu citoyen britannique en 1952 et qui a longtemps résidé en Suisse. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1981.
Canetti est souvent associé à la littérature autrichienne mais il couvre une perspective plus large. Son œuvre a défendu une idée pluraliste de la culture européenne dans sa richesse et sa diversité, liée à un parcours de vie singulier. Il est l'auteur d'analyses de grande envergure sur le XXe siècle et de réflexions détaillées sur les mécanismes humains et les modes de fonctionnement psycho-sociaux.
Retour sur la trajectoire d'Elias Canetti, l'éveilleur d’un futur antérieur.
Émission "Une vie, une oeuvre".
Au cours des siècles où le monde romain entre en crise et où commencent à résonner ces langues que l'Europe parle encore, la culture européenne médite l'épisode biblique de la confusio linguarum et tente de guérir la blessure de la Tour de Babel en essayant de récupérer la Langue adamique, ou de la reconstruire comme Langue parfaite.
Beaucoup se sont consacrés à ce rêve et, bien que leurs utopies ne se soient pas réalisées, elles ont produit des "effets collatéraux". C'est pour cette raison que si nous connaissons aujourd'hui le monde naturel à travers des taxinomies rigoureuses, si nous inventons des langages pour les machines, si nous tentons des expériences de traduction automatique, nous sommes encore débiteurs de ces tentatives de retrouver une langue adamique...
L'âge venant, la liberté de George Steiner grandit et il dit sans hésiter parfois avec sarcasme ce qu'il pense de l'évolution de notre société. C'est à une vision pessimiste qu'il nous convie en analysant la perte de l'écrit, l'absence de désir de se réalimenter aux sources de la haute culture et l'avènement du règne de l'immatériel. Toutefois Steiner tempère ce pessimisme par une croyance au développement des sciences exactes et au progrès médical mondial !
Steiner revient sur ses deux passions essentielles qui lui permettent d'envisager le lendemain : la musique qu'il écoute chaque jour - il en fait et c'est une vocation manquée à cause d'une disgrâce de naissance - et les mathématiques.
Il évoque sa passion d'enseignant et comment sa vie chaotique de juif européen l'a conduit depuis des décennies à enseigner dans toutes les universités du monde pour se fixer enfin à Cambridge.
Enfin, lui qui est profondément antisioniste constate l'impossibilité de l'existence d'un état palestinien et dit son inquiétude d'une montée de l'antisémitisme...
George Steiner : un penseur libre.
Une série d'émission animée par Laure Adler.
Critique littéraire, Juan Asensio est l'un des rares représentants de cette confrérie des lettres qui pratique encore cet exercice avec exigeance et intransigeance. Auteur de plusieurs ouvrages tels que La Littérature à contre-nuit (recueil de textes consacrés à l’étude du démoniaque dans la littérature) ou encore Le Temps des livres est passé (2019, éditions Ovadia), il tient également un blog "Stalker, Dissection du cadavre de la littérature" dont la première note date de 2004.
Un entretien mené par Elie Thomas et Sophie Di Malta.
Le regain d'intérêt, en France ces dernières années, pour les écrivains très marqués à droite ou d'extrême-droite, à commencer par Maurras, est sans doute à rapprocher de l'immense succès de Michel Houellebecq, dont les romans déplorent un déclin des grandes autorités socio-culturelles du passé qui laisserait l'homme contemporain en mal de repères, livré sans remède à la dépression en contrepartie d'une liberté illusoire. Mais existe-t-il, au plan du style littéraire, une caractéristique commune et spécifique aux auteurs classables dans la catégorie "réactionnaires" ?
C'est la question sur laquelle se penche Vincent Berthelier dans un livre récemment paru aux éditions Amsterdam. Il y revient sur les liens entre classicisme et même purisme stylistique, ou au contraire inventivité des forme littéraires, d'un côté, et conservatisme ou fascisme. Le cas Renaud Camus, par exemple, paraît confirmer le lien entre passéismes stylistique et politique fixé par le modèle de Maurras, puisque Camus abandonne l'inventivité littéraire qui avait jusque caractérisé son oeuvre au moment où il s'engage dans son combat d'extrême droite. Le seul cas où la radicalité politique réactionnaire et la radicalité stylistique vont vraiment de pair est sans doute celui de Louis-Ferdinand Céline. Ce qui n'empêche pas Vincent Berthelier de proposer une très stimulante plongée dans l'histoire stylistique et politique de la littérature des XXe et XXIe siècle, où l'on croise entre autres Georges Bernanos, Marcel Jouhandeau, Marcel Aymé ou encore Cioran et Richard Millet.
Émission "On s'autorise à penser", animée par Julien Théry.