La technique semble désormais empiéter sur tous les domaines de l'activité humaine. La science se transforme en technoscience. La morale se fait gestion des ressources et management. La parole est livrée aux techniques de communication ; l'amour, au Kâma-Sûtra. Il n’est pas même jusqu'à l'évangélisation qui ne soit atteinte : on la conçoit aisément comme la nécessité d'allier Facebook à la Sainte Face, et Twitter à l'Esprit Saint. Il ne s'agit plus d'être, mais de faire (l'amour ou un beau discours). Mais un faire qui ne se fonde plus sur l'être ne peut en vérité que défaire, et sa volonté de puissance cache une impuissance radicale, qui asservit au lieu d'élever, qui manipule au lieu d'engendrer.
L'enjeu du cours de Fabrice Hadjadj est donc, avec Aristote et saint Thomas, de distinguer la technè (faire), de la praxis (agir) et de l'epistèmè (savoir), pour montrer en quoi le savoir-faire n'est pas d'abord un savoir, et en quoi la perfection de l'art ne se situe pas sur la même ligne que la perfection morale : la confusion, aussi bien que la séparation de ces trois espèces de vertu, est désastreuse.
Il montre également comment s'est opéré le passage de la technè des Anciens à la technique des Modernes, pour essayer de penser l'empire technocratique de notre époque (qui ne semble d'ailleurs plus une époque, mais un délai).
Ce sont bien les écrans qui font écran, en dépit de leurs nombreuses "fenêtres" et "icônes", et nos GPS qui nous égarent systématiquement, quand il s'agit d'être simplement ici...
Olivier Rey, c’est le Little Big Man de l'écologie bien comprise. Philosophe, mathématicien, romancier à hauteur d'homme.
Avec lui, l'écologie retourne dans la maison du père : la tradition, la conservation, le conservatisme, la bonne mesure — lui le penseur de la démesure inhumaine de nos sociétés.
Ses livres sont des antidotes. Les lire, c'est retrouver ce qu'il y avait de bon hier, sans renoncer à ce qu'il y a de bon aujourd'hui ni à ce que l'on pourrait faire mieux demain.
Aujourd'hui, les mots éducation et école sont devenus quasiment synonymes. Pourtant, l'école ne représente qu'une infime partie de l'histoire de l'éducation. Comment cet amalgame a-t-il pu se produire ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à croire que l'éducation de nos enfants devait relever de la responsabilité de l'État ? Quelles logiques sont à l'oeuvre derrière cette vaste entreprise de normalisation des masses ?
L'école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les "autorités" et à obéir aux "institutions". À cela il faut substituer des échanges dit Ivan Illich, entre "égaux" et une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d'inventer et d'expérimenter.
Implacable critique de la société industrielle, Ivan Illich a démontré qu'au-delà d'un certain seuil, les institutions se révèlent contre-productives et a dénoncé la tyrannie des "besoins" dictés par la société de consommation. Il fut l'un des premiers à voir dans l'aide au développement une tactique pour généraliser le productivisme et y acculturer les peuples. À cette idée comme à celle de croissance, véritables "assauts de l'économie contre la condition humaine", il oppose une ascèse choisie et conviviale, un mode de vie qui entremêle sobriété et générosité.
Un entretien mené par Roger Kahane.
André Gorz réalise, tout au long de son oeuvre, une synthèse entre Sartre, Marx et Illich. Ingénieur chimiste de formation, c'est en autodidacte qu'il étudie la philosophie, l'économie et la sociologie.
Il se considère comme un théoricien. Son rôle est de donner des clés de lecture pour guider afin qu’ensuite s’amplifient les mouvements. Ce n’est pas un homme d’action ni d’implication.
Il a été avec René Dumont et Edgar Morin le fondateur de l’écologie politique en France au début des années 70.
Gorz, critique du keynésianisme, se situe entre la social-démocratie et la gauche radicale dont il ne partage pas la croyance à la révolution au "grand soir".
Une conférence organisée à la librairie "Le comptoir des mots", Paris 20ème.
Seul l’imaginaire est peuplé d’êtres monstrueux, c’est-à-dire hors proportions. Car dans la nature, chaque organisme n’est viable qu’à son échelle adéquate : une araignée géante s’asphyxierait, une gazelle de la taille d’une girafe se casserait les pattes…
Idem pour les sociétés et les cultures, affirme Olivier Rey. Le philosophe et mathématicien met cette "question de taille" au centre de sa critique de la modernité technicienne et libérale en exhumant les thèses d'Ivan Illich ou de Leopold Kohr ("partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros").
Les villes, les États, les sociétés, les démographies, les institutions, les techniques, les désirs… tout est trop grand, trop gros, trop nombreux ou trop rapide. Bref, sans limite. Dès lors, c’est la démocratie, la santé, l’éthique, l’écologie, l’éducation, la science… qui sont perverties.
Les travaux d’Olivier Rey, philosophe des sciences et chercheur au CNRS, sont très bien reçus dans les milieux prônant la "sobriété heureuse" et la "décroissance".
Sa connaissance de la pensée moderne et des représentations de la nature qu’elle a conjurées l’amènent à émettre un jugement sans concession sur les situations de crises actuelles que notre monde traverse, précédent, et faisant écho à la critique du paradigme technocratique du Pape François dans son encyclique Laudato si’. La décroissance à laquelle Olivier Rey appelle nos sociétés moderne n’est pas un simpliste retour en arrière, mais l’art de trouver la mesure de l’échelle humaine dans l’intégration lucide des limites de la planète, des ressources naturelles, mais aussi de la finitude de notre commune humanité.
Le Centre de Recherche en Entreprenariat SOcial, la Chaire Jean Bastaire pour une vision chrétienne de l’écologie intégrale, les associations "Chrétiens et Pic de Pétrole" et "Les Alternatives Catholiques" s’associent pour mettre en valeur et interroger la perspective d’Olivier Rey dans l’esprit de l’écologie intégrale.
Renaud Garcia s'intéresse ici à une perspective sur l'oeuvre d'Illich rarement traitée d'une façon systématique : celle qui y voit une contribution notable à l'anarchisme, à la fois comme théorie et comme pratique.
Deux interprétations réductrices doivent être réfutées de prime abord : l'une qui voudrait qu'en raison de son enracinement chrétien, la pensée d'Illich ne puisse être associée à l'anarchisme ; l'autre qui accepte des accointances entre Illich et l'anarchisme, mais pour les limiter au seul écho rencontré par le pamphlet Une société sans école, dans la lignée des pédagogies libertaires.
Au-delà de ces interprétations, il semble possible de considérer aussi bien la critique de la contreproductivité industrielle que l'archéologie de l'âge des systèmes comme des jalons importants faisant le lien entre un anarchisme classique (Proudhon, Bakounine, Kropotkine) et la critique de la domination effectuée par un anarchisme plus contemporain. En ce sens l'oeuvre d'Illich se présente comme un prolongement des travaux de son ami et inspirateur anarchiste Paul Goodman (1911-1972).
Ces trois champs sont balisés en creusant cette filiation : tout d'abord les analyses critiques de la société industrielle, insistant sur l'équilibre humain pour faire obstacle à l'intériorisation de la dépossession par les services ; ensuite l'étude détaillée du domaine vernaculaire, ayant pour but d'établir l'archéologie des représentations contemporaines du corps, du sexe, des besoins, du travail, qui toutes rivent l'individu à une servitude négatrice de sa singularité ; enfin la réponse d'ordre moral et existentiel qu'Illich a adressée aux professions mutilantes ainsi qu'à l'abstraction de l'âge des systèmes : le choix de la non-puissance, un art de vivre épiméthéen qui se réjouit de l'exquis présent de l'existence, en lieu et place de la planification prométhéenne d'une action collective à grande échelle.
À l'occasion de la sortie du premier numéro de la revue Limite, plusieurs collaborateurs et intellectuels abordent les grandes problèmatiques d' "écologie intégrale".
Face à la démesure contemporaine, c'est un esprit de sobriété qui est défendu, fondé sur le sens des équilibres et le respect des limites.
Une revue à découvrir.
Émission du "Libre Journal des enjeux actuels", animée par Arnaud Guyot-Jeannin.