En 1825, un homme meurt à Paris. Il avait été comte de Saint-Simon et avait congédié ses titres ; la richesse l'avait quitté, seuls quelques amis l'avaient accompagné dans ses dernières années. Mais il laissait une œuvre scientifique et politique d'une dimension inouïe, semée d'intuitions de génie.
Peu après, en tirant parti du microclimat de liberté né de la révolution de 1830, ses disciples, les saint-simoniens, vont labourer le chaos de ses livres, créer une école de pensée et même une église et faire se lever d'imprévisibles moissons.
Si à nos yeux, il y a une idée-force qui émerge de leur groupe, passablement disparate, c'est la conviction que le monde nouveau sera traversé par la circulation. Les solides compteront moins que les fluides. Le monde sera maillé de réseaux, matériels et immatériels. Michel Chevalier, penseur de premier plan de l'école saint-simonienne, a ainsi conçu dès 1832 un "Système de la Méditerranée" : "Mare nostrum", bordée de golfes féconds est appelée au laboratoire de l'association Orient-Occident. Dès 1834, le Père Enfantin, qui, dans l'église saint-simonienne, fait figure de messie, s'installe pour sa part en Egypte : le projet de canal de Suez lui doit beaucoup.
En matière politique, les saint-simoniens ne croient plus aux pyramides hiérarchiques anciennes. La politique aura dorénavant pour fonction de rendre possibles tous les genres de production car c'est autour de la production que la société se restructurera.
On voit combien ce langage de la circulation et de la production est actuel. Le saint-simonisme, souvent rangé au magasin des bizarreries utopiques attendait à bas bruit le moment "disruptif" où nous sommes pour être enfin réinterprété.
On a entendu récemment Gérard Collomb dire qu'à Lyon, il n'a pas été socialiste mais saint-simonien et Emmanuel Macron candidat à l'Elysée reconnaître une filiation. Mais quand Saint-Simon voulait faire basculer le pouvoir vers la classe industrielle, il plaçait au cœur de celle-ci les travailleurs qui, faisant tout, n'avaient pourtant rien et en venaient à penser que leur travail était inutile. Le saint-simonisme était bien davantage qu'un technocratisme à destination des entrepreneurs...
Émission "La Marche de l'histoire", animée par Jean Lebrun.
La France, confrontée à la menace du terrorisme qui s'est incarnée de façon si dramatique en 2015, se retrouve devant une interrogation touchant à l'essence même de la démocratie : où convient-il de fixer le curseur entre d'un côté les exigences accrues de la sécurité collective et d'autre part la préservation des libertés publiques qui sont au cœur du contrat social depuis 1789 ?
Chacun ressent qu'à trop empiéter sur ces libertés, dans le péril que nous affrontons, notre République risquerait de perdre quelque chose de sa fierté, de ses équilibres et, en somme, de sa raison d'être. En quête de précédents, on pourrait évoquer le temps de la Convention, 1793-1794, tout autant que celui de la guerre d'Algérie.
Il pourrait être intéressant de braquer l'attention sur le moment des attentats anarchistes sous la Troisième République, dans les années 1890, pour montrer, qu'aussi différentes qu'aient pu être, par rapport à notre actualité, les menaces ambiantes, les débats qui ont agité le monde politique et celui des intellectuels, on y rencontre bien des traits qui annoncent ceux d’aujourd'hui, dans l'ordre du réalisme, de la morale et du civisme.
Jean Garrigues, professeur spécialiste d'histoire parlementaire et politique, est un familier de la période qu'il s’agit de restituer et il a manifesté de longue main son goût de distinguer, dans le cours de notre histoire politique, le spécifique et les résurgences.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
Après plus d'un siècle de colonisation, après la guerre meurtrière de décolonisation qui aura mené l'Algérie à l'indépendance et après le récent passage de François Hollande en Algérie où quelques discours ambigus (c'est le moins qu'on puisse dire) ont été prononcé, il est plus que temps de faire l'inventaire des effets de la colonisation française dans ce pays.
L'Algérie a-t-elle été profitable, économiquement parlant, pour la France, ou n'a-t-elle été qu'un fardeau pour la métropole ? Qu'en a-t-il été de l'agriculture ? Et de l'évolution de la santé ? La France a-t-elle pillée les hydrocarbures découverts dans le Sahara ?
Analysant les relations complexes et changeantes entre les différents acteurs de la colonisation, Daniel Lefeuvre et Jean Monneret proposent une histoire nuancée et critique de ce pan tragique de notre passé colonial, et mettent à mal, au passage, bien des idées reçues.
Émission du "Libre Journal de midi", animée de Roger Saboureau.
Avant même son arrestation et son exécution lors de Thermidor (juillet 1794), Maximilien Robespierre a été outrancièrement vilipendé et calomnié par les ennemis de la Révolution, en particulier par les presses royaliste et anglaise. Son élimination a été immédiatement justifiée par une diabolisation destinée à discréditer tout projet de démocratie réelle au profit d'un système représentatif reléguant le peuple à la passivité et laissant aux possédants le monopole d'un gouvernement "des compétences" mené en fonction de leurs intérêts.
En évoquant les différents regards successivement portés sur l' "Incorruptible" jusqu'à nos jours, les historiens Marc Belissa et Yannick Bosc montrent la permanence de l'enjeu politique essentiel qui s'est cristallisé autour de cette figure. Enjeu qui demeure on-ne-peut-plus actuel : la démocratie réelle, où l'action des représentants seraient strictement contrôlée par le peuple, est-elle possible ?
Émission "La grande H.", animée par Julien Théry.
Directeur d’études à l'École des hautes études en sciences sociales, l'historien Patrice Gueniffey a récemment publié aux éditions Perrin un Napoléon et de Gaulle.
Le fait de consacrer un livre à deux grands hommes de notre histoire est un défi adressé à tous ceux qui veulent que l'enseignement de l'histoire soit débarrassé de ses grandes figures et du récit national pour être reconfiguré en vue de la mondialisation. Nous savons pourtant que l'histoire d'une nation se fait avec des hommes et, dans les circonstances exceptionnelles, par la volonté d'hommes que l'on dit providentiels.
Le Petit Caporal et le Général appartiennent à cette catégorie. Les apparences les rapprochent – ce sont des soldats de métier, des chefs de guerre et des hommes d’État. Mais de nombreux aspects opposent aussi Napoléon Bonaparte et Charles de Gaulle diamétralement...
Fondateur de l'école laïque et de l'empire colonial, Jules Ferry est bien plus que tout cela : intellectuel au grand courage physique, républicain engagé dans une lutte féroce avec un autre républicain, Georges Clemenceau véritable partisan de l'industrie et du libre-échange devenu adepte du protectionnisme paysan. Sa vie est un roman.
Il faut la découvrir en respectant la chronologie, comme nous le rappelle Eric Fromant, en présentant l'enchaînement des faits, de sa naissance en 1832 à 1893, date de sa mort.
Émission du "Libre Journal de la crise", animée par Laurent Artur du Plessis.
Nul ne peut sérieusement en disconvenir : Internet a libéré sur sa toile une profusion de violence verbale et créé dans nos démocraties un climat de suspicion généralisée envers toutes les autorités. On est loin d'être encore à même d'apprécier pleinement et à coup sûr la portée de ce phénomène sur la longue durée. On est loin de pouvoir faire le départ entre les possibles profits, moraux et civiques, d'une surveillance légitime et d'autre part les dévergondages de procédés qui risque d'être ravageurs pour le fonctionnement équilibré de n'importe quel régime. S'agit-il d'un défouloir légitime ou d'un poison ravageur ?
Pour en juger, il faut, comme toujours, se hâter de ne pas exagérer l'inédit. Dans la quête de précédents, on pourrait se reporter au temps des mazarinades du temps de la Fronde ou encore à celui des écrits sinistres qui circulèrent contre Louis XVI et Marie-Antoinette à la fin de l'Ancien Régime. Dans cette émission, c'est l'attention est braquée sur les derniers moments du Second Empire et les premières décennies de la Troisième République, à la fin du XIXe siècle.
Ce fut l'époque, en effet, où fleurirent en abondance des pamphlets d'une extrême violence contre les pouvoirs en place. La loi très libérale de juillet 1881 leur ouvrit un champ qui put paraître sans limite, jusqu'à faire litière de tout respect humain. Cédric Passard, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Lille, s'est attaché à ce sujet. A ses yeux, cette effervescence pamphlétaire et la diffusion massive des caricatures politiques les plus brutales ont accompagné logiquement l'entrée de la France, à l'âge des foules, dans une modernité politique, culturelle et médiatique. Voilà bien qui reste à démontrer et à comprendre, sous l'éclairage rétrospectif de nos inquiétudes contemporaines.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
À la fin du XIXe siècle, l'attente du Grand Soir exprime l'espoir d'un bouleversement violent et radical de l'ordre social existant. Cette croyance millénariste en l'éclosion d'un monde régénéré grâce à la révolution sociale est caractéristique de la mythologie libertaire qui se forme alors. Une vision insurrectionnelle qui influencera les syndicalistes révolutionnaires.
Aurélie Carrier se propose d'étudier les représentations qui composent l'imaginaire du Grand Soir, et leurs interactions avec celui de la grève générale.
La puissance d'attraction et la capacité de retentissement du Grand Soir débordèrent les cercles libertaires pour pénétrer les masses populaires. Repérer l'influence d'une telle construction imaginaire sur les pratiques sociales permet de questionner l'espace des possibilités entre la réalité sociale et ses représentations, et la généalogie des utopies, disparues ou renaissantes.
Émission "Sortir du capitalisme", animée par Armel Campagne.