Contre la violence de certains à l'égard des travaux des historiens, Henry Laurens interroge les enjeux de notre rapport au passé, source régulière de polémiques.
Il part d'un rappel des grands traits du savoir historique, essentiel pour aborder de façon critique un certain nombre de discours actuels, notamment autour des questions mémorielles. Suit une brève histoire de l'occidentalisme et de l'orientalisme qui montre comment les deux mouvements se sont développés parallèlement, sans nécessairement s'opposer. En ouvrant, pour finir, une réflexion sur les violences des XXe et XXIe siècles et les temporalités dans lesquelles elles s'inscrivent, substitution du héros à la victime et du présent au futur, il affronte les débats d'aujourd’hui autour du mouvement postcolonial, promoteur d'un passé imposé.
Une réflexion stimulante, qui redonne sa valeur à l'indispensable travail de l'historien.
Une rencontre modérée par Jean-Paul Chagnollaud.
Depuis le début de la crise sanitaire, il est devenu difficile de se projeter dans l'avenir : qui peut dire ce qu'il fera dans deux semaines, trois mois ou un an ? Cette suspension du cours habituel du temps et de la vie est aussi le moment propice à une réflexion sur notre rapport à l'avenir.
Le futur tel que le pensaient les Grecs, les premiers chrétiens, les penseurs des Lumières ou nos grands-parents n'a rien à voir avec le futur tel que nous l'envisageons (ou du moins l'envisagions !). Le futur a pu être pensé comme une simple répétition du passé ; comme une fin des temps rédemptrice ; comme un monde meilleur atteignable par le progrès technique ; comme une dystopie cauchemardesque... Il y a donc une histoire de l'avenir, de ses représentations, mais aussi des rapports de force au sein des sociétés pour imposer “sa” vision du futur.
Émission "Le Cours de l'histoire", animée par Xavier Mauduit.
Le philosophe Benoit Bohy-Bunel nous propose une analyse critique suivie de la grande oeuvre de Kant, la Critique de la raison pure. Il s'agit d'une approche matérialiste, qui n'est pas économiciste, mais qui définit la matière comme rapports sociaux concrets entre corporéités agissantes.
La démarche idéologique kantienne s'inscrit dans une dépossession du travail manuel par le travail intellectuel. Dès lors, les facultés transcendantales de Kant perdent leur universalité et retrouvent leur perspective située : c'est le sujet masculin blanc et bourgeois qui s'arroge l'universalité, pour mieux assigner les individus minorisés qui sont considérés comme étant hors culture.
La chose en soi est définissable : elle est la souffrance des individus réifiés, que Kant ne veut pas (ou ne peut pas) thématiser. La dialectique transcendantale prend alors une tout autre signification, ainsi que tout le projet critique kantien.
Le développement durable est partout dans les discours, nulle part dans les faits. En témoigne l'absence de résultats des politiques environnementales contre le réchauffement climatique ou bien en faveur de la transition agricole, et cela malgré l'importance des investissements qu'on leur consacre depuis plusieurs décennies. Il en est ainsi parce que ces politiques manquent de fondement.
Il ne suffit pas de dire : "l faut changer le système économique." Encore faut-il sortir l'économie de son péché originel, de son court-termisme natif qui l'empêche de construire un développement vraiment durable, c'est-à-dire un développement où le sens du temps et de la durée déploie toute sa puissance de construction. Il importe à cette fin de reconsidérer les principaux facteurs de production, le capital, le travail, la technique, sous le couvert du temps et de la construction de la durée.
Le capital sous le couvert du temps a pour nom "patrimoine", le travail "maintenance", la technique "protection", tout à l'inverse des idéologies dominantes de l'innovation, de la disruption et de la destruction créatrice. Nos pratiques productives, politiques et sociales s'en trouveront alors profondément changées.
Une intervention qui prend place dans le colloque "Pratiques et usages contemporains des philosophies des techniques".
Il importe certes que notre développement soit durable et respecte les générations futures. Encore faut-il que les hommes soient en mesure de construire la durée à travers leurs modes mêmes de production !
Depuis 50 ans, l'écologie est à l’ordre du jour des politiques publiques. Pour quels résultats ? Chacun aspire désormais, aussi bien à droite qu'à gauche, à "changer de modèle". Mais les meilleures intentions suffisent-elles ? Or, pour la première fois depuis Marx, un auteur -Pierre Caye- nous propose une approche globale du système productif et décrit les outils nécessaires à sa transformation.
Sous le couvert du temps, les principaux facteurs de production, le capital, le travail, la technique s'en trouvent profondément transformés : pour durer, le capital devient le patrimoine, le travail se consacre à la maintenance, en même temps que la technique nous sert d'enveloppe protectrice. L'économie accède désormais à sa dimension morale et politique la plus haute et la plus digne, loin des idéologies dominantes de l’innovation, de la disruption et de la destruction créatrice.
Une conférence introduite par Sébastien Marot.
L'idée de progrès était une idée doublement consolante. D'abord, parce qu'en étayant l'espoir d'une amélioration future de nos conditions de vie, en faisant miroiter loin sur la ligne du temps un monde plus désirable, elle rendait l'histoire humainement supportable. Ensuite, parce qu'elle donnait un sens aux sacrifices qu'elle imposait : au nom d'une certaine idée de l'avenir, le genre humain était sommé de travailler à un progrès dont l'individu ne ferait pas lui-même forcément l'expérience, mais dont ses descendants pourraient profiter.
En somme, croire au progrès, c’était accepter de sacrifier du présent personnel au nom d'une certaine idée, crédible et désirable, du futur collectif. Mais pour qu'un tel sacrifice ait un sens, il faut un rattachement symbolique au monde et à son avenir. Est-ce parce qu'un tel rattachement fait aujourd'hui défaut que le mot progrès disparaît ou se recroqueville derrière le seul concept d'innovation, désormais à l'agenda de toutes les politiques de recherche ? D'où vient que l'avenir a pris la figure de l'ennemi et non plus celle de l'ami ?
Émission "La Conversation scientifique", animée par Etienne Klein.
Qui aujourd'hui peut prétendre connaître le repos ? Question rhétorique, bien sûr, tant nous sommes tous happés par les tourbillons de la vie postmoderne ! Les moments de remontée à la surface et de respiration se font en effet de plus en plus rares, et force est de constater que nous devons bien souvent demeurer en apnée prolongée. Au risque de notre santé et, encore plus fondamentalement, de notre humanité.
Les travaux récents de Baptiste Rappin se proposent d'appréhender la condition de l'homme contemporain, caractérisée par le changement perpétuel et le mouvement sans fin, de façon originale, en replaçant au cœur de la réflexion le management autour duquel s'élabore un véritable système philosophique dans toutes ses dimensions : épistémologique, politique, métaphysique et même théologique.
Et ce notamment en montrant par quels chemins l'exception a pu s'imposer, à notre époque, comme la norme de gouvernement de nos sociétés. De ce point de vue, la crise n'apparaît plus comme un dysfonctionnement qu'il s’agirait d'éliminer à coups de mesures techniques, mais bien comme le fond ontologique à partir duquel se déploie notre rapport aux temps présents.
Le management scientifique relève de l'utopie en ce qu'il est sans site, sans topos, car il est plus porté par une dynamique temporelle, celle de la synchronisation générale des activités humaines, que désireux de s'enraciner dans un lieu singulier. On peut également soutenir une thèse semblable en ce qui concerne le rapport social qu'instaure le capitalisme au sein duquel l'impératif abstrait de valorisation ne prend sens qu'avec les quanta de temps de travail social dépensés lors d'une activité productive.
C'est donc sous l'angle de la temporalité que peuvent être conjointement saisies les deux grandes révolutions modernes que sont le capitalisme et le management.
Une intervention dans le cadre des "leçons de la Sphère", dispensées par Carlos Pereira.