Icare se brûlera t-il deux fois les ailes ? Le transhumanisme se résume-t-il à une question éthique ? Et peut-on parler des lois de la "dénature" ?
Le biologiste Jacques Testart et le philosophe et mathématicien Olivier Rey, deux penseurs de renom, échangent ensemble pour nous inviter à saisir les enjeux du transhumanisme, idéologie qui promet notamment le dépassement de l'homme par la technique.
En nous émancipant des énergies fossiles, nous sombrons en réalité dans une nouvelle dépendance : celle aux métaux rares. Graphite, cobalt, indium, platinoïdes, tungstène, terres rares... ces ressources sont devenues indispensables à notre nouvelle société écologique et numérique. Elles se nichent dans nos smartphones, nos ordinateurs, tablettes et autre objets connectés de notre quotidien.
Or les coûts environnementaux, économiques et géopolitiques de cette dépendance pourraient se révéler encore plus dramatiques que ceux qui nous lient au pétrole.
Le journaliste et réalisateur Guillaume Pitron décrypte les tendances symptomatiques d'un monde globalisé en s'intéressant notamment aux enjeux économiques, politiques et environnementaux liés à l’exploitation des matières premières. Par là, il nous révèle la face cachée de la transition énergétique...
Rares sont les métiers aujourd'hui dont les machines sont absentes : la technique s'est peu à peu insinuée dans toutes les activités ; la maîtriser est un atout majeur sur le marché de l'emploi.
C'est au XIXe siècle que le développement technologique s'accélère comme jamais auparavant, les nouvelles techniques gagnant tous les pans de la société et la modifiant en profondeur, et en premier lieu, le monde du travail.
Ouvriers, artisans, comment les travailleurs voient-ils leur activité et par conséquent tout leur quotidien modifié, et comment appréhendent-ils ces changements ? L'univers machinique nouveau a-t-il suscité des résistances, des enthousiasmes ? Comment les penseurs du travail s'en sont-ils emparés ?
Émission "La Fabrique de l'Histoire", animée par Emmanuel Laurentin.
Un jour, vers 1700 avant notre ère, une épée en bronze sortit de l'atelier d'un artisan du nord-ouest de l'Europe, signant ainsi la création d'un objet conçu pour tuer. Il n'était plus ici question de chasser pour se nourrir et couvrir des besoins biologiques, l'homme était un paysan depuis des millénaires. Il inventait là une réalité matérielle spécifique qui entrait dans des modèles sociétaux nouveaux.
Comment cette innovation s'opéra ? Quels mécanismes intellectuels et techniques étaient ici en œuvre ? Quelle part d’humanité ou d'inhumanité peut-on y déceler ?
Après Une question de taille (Stock, 2014), où est interrogé, dans le sillage d'Ivan Illich, l'ignorance de la juste mesure dans les sociétés contemporaines, et Quand le monde s'est fait nombre en 2016, une critique de la raison statistique, le philosophe et mathématicien Olivier Rey revient aujourd'hui agacé par les promesses exorbitantes dont est investi le progrès dans Leurre et malheur du transhumanisme (Desclée de Brouwer, 2018).
A ses côtés Mark Hunyadi, professeur de philosophie morale et politique et auteur du Temps du posthumanisme (Les Belles Lettres, 2018), s'interroge aussi sur les fascination et illusions que charrient l'idéologie et la pratique du transhumanisme.
Émission "La Grande table idées", animée par Olivia Gesbert.
Quelle "nouvelle économie psychique" émerge des mutations économiques, politiques, sociales, induites par le développement des technologies numériques ?
Quels enseignements tirer aujourd'hui des avancées de Freud dans Massenpsychologie und Ich-Analyse, publié en 1921 ?
La gouvernementalité algorithmique ne propose-t-elle pas, en effet, par le biais aussi des réseaux sociaux, un "nous" imaginaire et narcissique, un "nous" du resssentiment plus que civilisationnel, projeté sur des identifications d'autant plus radicalisées qu'elles ont perdu la références aux savoirs et à la mémoire collective, ainsi qu'un ancrage symbolique ?
Comment contrer la fabrication, par un capitalisme appuyé sur la troisième révolution industrielle, la révolution numérique, d'un "homme sans gravité", atopique et hors discours ? Que faire de la "disruption" au XXIe siècle ?
Le philosophe, directeur de l'institut de recherche du centre Georges Pompidou et créateur et président du groupe Ars Industrialis Bernard Stiegler poursuit un dialogue engagé depuis quelques temps avec le psychanalyste Charles Melman sur ces questions de la plus haute importance.
Une conférence modérée par Esther Tellermann.
Aujourd'hui, trente ans après l'effondrement de l'URSS, Maxime Ouellet nous propose de dépasser les lectures sclérosées d'un Marx prisonnier du marxisme "réellement existant" en nous montrant comment sa pensée reste plus actuelle que jamais, notamment dans la manière dont la technique est envisagée dans son oeuvre.
Une approche originale qui doit nous aider à comprendre notre époque, caractérisée par un nouveau type d'aliénation accompagnée par l'essor des nouvelles technologies.
L’apparition et le développement des medias numériques et audiovisuels dans nos environnements domestiques et urbains fait aujourd’hui l’objet de plusieurs inquiétudes auprès de la communauté scientifique et intellectuelle à propos des effets qu’ils engendrent sur nos capacités attentionnelles. Les études menées par Dimitri Christakis et Frederic Zimmerman sur la synaptogenèse mettent l’accent sur les liens entre la formation du cerveau et l’environnement multi-médiatique dans lequel il évolue aujourd’hui. Katherine Hayles, professeur à l’université de Duke, résume leur analyse : "La plasticité est une caractéristique biologique du cerveau ; les hommes naissent avec un système nerveux prêt à se reconfigurer en fonction de leur environnement. […] Le système cérébral d’un nouveau-né passe par un processus d’élagage par lequel les connexions neuronales qui sont activées dépérissent et disparaissent. […] La plasticité cérébrale se poursuit durant l’enfance et l’adolescence, et continue même à certains égards au cours de l’âge adulte. Dans les sociétés développées contemporaines, cette plasticité implique que les connexions synaptiques du cerveau co-évoluent avec des environnements dans lesquels la consommation de medias est un facteur dominant. Les enfants dont la croissance se produit dans des environnements dominés par les medias ont des cerveaux câblés et connectés différemment des humains qui n’atteignent pas dans de telles conditions la maturité." La mutation que constitue l’apparition des nouvelles technologies numériques a conduit à un changement cognitif majeur au niveau attentionnel, que Katherine Hayles décrit comme une mutation générationnelle posant de sérieux défis à tous les niveaux de l’éducation et de l’université. Cette mutation consiste dans le développement de ce qu’elle appelle une hyper-attention, qu’elle oppose à ce qu’elle nomme la deep attention. Elle caractérise cette-dernière comme une captation de l’attention par un seul objet pendant une longue durée, telle la lecture d’un livre. L’hyper-attention, au contraire "est caractérisée par les oscillations rapides entre différentes tâches, entre des flux d’informations multiples, recherchant un niveau élevé de stimulation, et ayant une faible tolérance pour l’ennui. Les sociétés développées ont longtemps été capables de créer le type d’environnement qui permet d’aboutir à l’attention profonde. […] Une mutation générationnelle a lieu, passant de l’attention profonde à l’hyper-attention." Au delà de cette transformation neurologique, Bernard Stiegler nous prévient des dangers psychosociologiques et culturels que représente l’organologie actuelle des objets numériques et audiovisuels. La réception de ces objets suscite et développe chez le sujet une autre attitude cognitive que celle de l’attention profonde mobilisée au cours de la lecture d’un livre. Une première distinction tient au fait que l’opération de la lecture est dirigée par le lecteur alors que celle de la vision audiovisuelle est asservie au temps de l’appareil de projection : il en résulte que le temps de la lecture est en droit un temps "souverain", il est le temps possible de l’examen et de l’observation, d’une certaine maîtrise attentionnelle de l’objet ; alors que le spectacle audiovisuel a d’abord pour effet de capter le temps de conscience du spectateur, et tendance à l’entraîner passivement dans son flux.
A cette distinction s’y ajoute une autre : savoir lire c’est nécessairement savoir aussi bien écrire, et réciproquement, tandis que le spectateur audiovisuel classique est généralement réduit à une position de consommateur non producteur. Or, ce que Bernard Stiegler appelle "misère symbolique" tient notamment à cette dissociation entre des individus producteurs de symboles et la grande masse de ceux qui les reçoivent en ne pouvant que les consommer, sans en produire à leur tour.
Enfin, c’est le caractère singulier et singularisant de la transmission scolaire à travers l’écrit — et la médiation décisive du "maître" — qui doit être opposé à la dimension massivement industrielle de la diffusion des programmes audiovisuels : ceux-ci ont la plupart du temps pour effet et même pour fonction de produire une "synchronisation" des consciences — de leur perceptions, de leur souvenirs, bref de leur expérience, qui devient ainsi plus proche d’un conditionnement —, là où l’on peut soutenir que l’enseignement scolaire et livresque, au contraire, tel que l’école de Jules Ferry en généralise le principe à l’ensemble de la société, vise en principe à la formation d’individus singuliers, c’est à dire porteurs d’un rapport à chaque fois inédit au savoir dans son ensemble : ainsi, en droit et en fait, dans la plupart des cas et même lorsqu’elle est pratiquée en commun — comme dans une classe —, la lecture est une opération foncièrement individuelle, qui à la fois requiert et développe une attitude d’attention mono-centrée, continue et soutenue, appelée attention profonde.
Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’un objet numérique et audiovisuel ne permet pas de créer une attention profonde, mais de dire qu’en tant que pharmakon, il présente des caractéristiques qui sont aujourd’hui mises au service, dans le contexte des industries de programmes, d’un dispositif de captation et de dissémination de l’attention qui est essentiellement destructeur —, alors même que, de toute évidence, le cinéma est un art, il sollicite et construit une attention profonde, et il est en cela le remède de ce poison.
La question décisive à laquelle nous devons est donc de savoir comment le nouveau milieu technologique dans lequel se développent désormais les cerveaux et les esprits des nouvelles générations ne leur soit pas "toxique" ? A quels enjeux le design numérique et audiovisuel devrait-il répondre pour ne pas faire obstacle à la formation de l’attention profonde, mais au contraire participer à son développement ?
La question n’est pas de rejeter les psychotechnologies numériques et audiovisuelles, ni les industries culturelles : elle est de transformer ces psychotechnologies en technologies de l’esprit, en nootechnologies ; elles est de révolutionner ces industries, qui sont devenues l’infrastructure organologique de la bataille de l’intelligence, qui est elle-même une guerre politique et économique, et dont elles sont l’arsenal — en proposant des normes de régulation adaptées à cette situation, mais aussi en les inspirant et les dotant de secteurs de recherche et de développement sur ces questions, dont elles sont de nos jours encore trop dépourvues.