L'heure est à la démocratie fondée sur la garantie des droits individuels et sur le gouvernement au nom de la collectivité.
Ces deux principes ont coexisté, jusqu'à ces derniers temps où l'on constate que le principe du consentement remplace la logique du commandement. D'où une dépolitisation de la société moderne.
Cette garantie des droits individuels, toute-puissante, amène inexorablement à l'expression des valeurs privées, que les individus veulent fédérer dans des protestations identitaires de plus en plus marquées, qu'elles soient locales, régionales ou autres.
Les utopies multiculturalistes, libérales et communistes ont bon ton, elles oublient paradoxalement que la démocratie suppose un espace commun.
La situation actuelle, postpolitique, laisse place à la toute-puissance du droit et de la morale : l'on n'est plus citoyen d'un pays, mais citoyen du monde.
Familier de la vie des idées américaine, Pierre Manent a bien recevoir Le Bulletin d'Amérique pour un entretien filmé.
Revenant sur sa découverte de Léo Strauss et des Etats-Unis, il jete un regard à la fois critique et bienveillant sur ce pays.
L'entretien est découpé comme suit :
- Comment avez-vous découvert les Etats-Unis?
- En quoi Léo Strauss est-il ce "grand libérateur" que vous évoquez dans "Le Regard politique"?
- Les Professeurs Michael et Catherine Zuckert soulèvent, dans "The Truth About Leo Strauss", ce qu’ils perçoivent comme le grand paradoxe straussien: Léo Strauss aurait en effet laissé à ses élèves un héritage difficile, que l’on peut résumer ainsi: 1. L’Amérique est moderne; 2. La modernité est mauvaise or 3. L’Amérique est bonne. Qu’en pensez-vous?
- Vous avez vous-même déclaré "je crois que si on a l’ambition de comprendre la politique moderne, il faut une certaine compréhension des Etats-Unis et donc avoir un certain amour pour les Etats-Unis". L’idée d’amour est très forte. Qu’entendiez-vous par là?
- Vous avez été l’ami d’Allan Bloom, auteur, entre autres, de "L’âme désarmée" et de "L’Amour et l’Amitié". Vous avez reproché à Saul Bellow d’avoir échoué de portraiturer celui-ci dans "Ravelstein". Alors, qui était-il?
- Vous dites qu’Allan Bloom aimait profondément la France. Ensuite, vous notez discrètement que "certains de ses élèves, qui l’accompagnaient, ont pris de la France une vue de plus en plus négative". Comment l’expliquez vous? Etait-ce le signe d’une nouvelle Amérique?
- La question de la religion dans la dynamique de l’Occident parcourt l’ensemble de votre oeuvre. Quelle est la place de la religion dans la dynamique de l’Amérique?
- L’Amérique peut-elle apprendre quelque chose de la France?
Repenser la politique, ses notions, ses institutions, fut un des grands chantiers de l'homme moderne, et ce dès le début du XVIe siècle.
Il fallait surmonter le désordre entraîné par la multiplicité des autorités, païennes et chrétiennes. Il fallait aussi répondre à l'horreur de ces véritables guerres civiles que furent les guerres de religion. Il fallait établir enfin un nouvel ordre politique, construit selon la raison, et fruit de la volonté des hommes...
Les grands artisans de ce chantier ? Machiavel, Hobbes, mais aussi Rousseau.
Pierre Manent interroge l'histoire, récente et lointaine, de la nation ; la manière dont elle a accueilli et nourri la démocratie, et comment son effacement menace aujourd'hui cette démocratie même.
Il met en évidence la situation paradoxale de la religion dont on ne cesse d'annoncer la fin imminente alors même que les séparations religieuses organisent de plus en plus notre paysage politique.
L'Europe ne peut rester longtemps encore cette zone dépressionnaire où l'on a peur de son ombre. Pierre Manent, par son travail, voudrait contribuer à ranimer le sentiment et l'intelligence des ressources spirituelles qui donnent à l'Europe sa continuité vivante.
Cycle de conférence "L'Occident en question".
Depuis la fin du bloc soviétique environ, a émergé un débat sur la place des nations et de la forme Nation dans l’avenir de l’Europe.
Loin de l’identification des nations aux nationalismes et à leurs expressions paroxystiques faciste et nazi qui les ont longtemps disqualifiées, l’objet d’étude Nation a été réinvesti depuis lors par les membres des sphères intellectuelles, lançant souvent, notamment en France et au Royaume-Uni, des débats critiques sur la forme actuelle de la construction européenne.
Ainsi a donc été mis à jour un ensemble d’interrogations sur la place des nations dans l’avenir de l’Europe ou encore sur le caractère historiquement nécessaire ou circonstanciel des nations, notamment pour la démocratie.
Pour reprendre une interrogation d’Étienne Balibar : "ici en Europe, la question de savoir si certaines nations, voire la forme Nation comme telle, traversent une phase de refondation, de régénerescence ou sont irréversiblement entrées dans un processus de dépérissement, de transition vers une société postnationale s’est faite de plus en plus insistante".
Toutes ces questions posées sur le terrain de l’avenir de l’Europe doivent alors aussi être mises en regard des rêves déjà anciens de voir émerger un Etat fédéral unissant le continent européen, mais aussi des interrogations sur le caractère viable et souhaitable de conceptions cosmopolitiques ou postnationales de l’unification de l’Europe.