Chercheur génial, écologiste radical au début des années 1970, ermite retiré du monde pendant 23 ans, il a eu trois ou quatre vies successives entre sa naissance, le 28 mars 1928 à Berlin, et sa mort, en 2014, quelque part dans l'Ariège. Le monde des mathématiques l'a découvert en 1958, au congrès mondial d'Edimbourg, où il présenta une refondation de la géométrie algébrique. La géométrie algébrique, ce sera sa grande œuvre, une sorte de cathédrale conceptuelle construite en collaboration avec deux autres mathématiciens, Jean Dieudonné et Jean-Pierre Serre. De 1950 à 1966, il fit des mathématiques, seulement des mathématiques.
Mais un jour, il finit par découvrir la politique. En 1966, il refusa d'aller chercher sa médaille Fields à Moscou, où deux intellectuels venaient d'être condamnés à plusieurs années de camp pour avoir publié des textes en Occident sans autorisation. L'année suivante, il passa trois semaines au Vietnam pour protester contre la guerre lancée par les Etats-Unis. À partir de 1971, il consacra l'essentiel de son temps à l'écologie radicale à travers un groupe qui avait été fondé par un autre mathématicien, le groupe "Survivre et vivre". En août 1991, il choisit de disparaître dans un village tenu secret après avoir confié 20'000 pages de notes à l'un de ses anciens élèves.
Le nom d’Alexandre Grothendieck sonne un peu comme la promotion de l'évanescence dans l'ontologie radicale. Car sa disparition donne à croire qu'elle le résume et le raconte davantage que tout le reste. Le choix qu'il a fait de s'évader rétro-projette son ombre sur tous les événements antérieurs de sa vie. Comme s'il n’avait jamais eu d'autre intention que celle d'échapper un jour au commerce des hommes. Mais raisonner ainsi serait injuste, car ce serait oublier l'homme, ses vies et son œuvre, qui est monumentale et demeure en partie inexplorée.
Émission "La Conversation scientifique", animée par Etienne Klein.
Les humains ne sont pas des robots. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Et pourtant, on peut utiliser des nombres pour comprendre les comportements humains. Ceci, dans les domaines les plus divers, qu'il s'agisse des intentions de ventes, du taux de criminalité, ou de la propagation des épidémies.
Peut-on dès lors en déduire des lois qui permettent des prédictions ? Et de là, en tirer des décisions politiques ? Certains scientifiques le pensent.
Les mathématiques sont parfois utiles, mais où commence leur usage abusif ? Peut-on mettre l'humanité dans un logiciel informatique ? La société se laisse-t-elle mettre en équations ?
Émission "Autour de la question".
Olivier Rey, c’est le Little Big Man de l'écologie bien comprise. Philosophe, mathématicien, romancier à hauteur d'homme.
Avec lui, l'écologie retourne dans la maison du père : la tradition, la conservation, le conservatisme, la bonne mesure — lui le penseur de la démesure inhumaine de nos sociétés.
Ses livres sont des antidotes. Les lire, c'est retrouver ce qu'il y avait de bon hier, sans renoncer à ce qu'il y a de bon aujourd'hui ni à ce que l'on pourrait faire mieux demain.
C'est en compagnie de nombreux intervenants qu'une généalogie du progrès est entreprise. Comment ce terme est-il passé de concept (avec un sens d'ailleurs fluctuant) à praxis pour en venir à saturer la réalité de notre monde ?
Seule une approche interdisciplinaire jetant des ponts entre des domaines de recherches de prime abord trop éloignés pour être compatibles - physique, économie, écologie, histoire - nous permet de saisir dans sa complexité les enjeux auxquels sont confrontés nos sociétés actuelles vivant par et pour le progrès.
Émission "Histoire vivante", animée par Jean Leclerc.
C’est le propre de toute société que d'essayer de légitimer son propre ordre social afin d'assurer sa pérennité. En Occident, ce sont longtemps les dieux qui ont servi à légitimer les pouvoirs en place, jusqu'aux guerres de religion où il est apparu que la référence à Dieu n'était plus capable de fonder l'autorité politique. C'est alors la science qui a pris la relève.
Mais si les sciences naturelles sont clairement définies, il est loin d'en être pareil pour les sciences sociales. Depuis Galilée, la science moderne est censée prouver sa propre légitimité en construisant des expériences qui répondent à trois critères : être à la fois enregistrables, reproductibles, et résulter d’une seule cause. Ils sont apparemment bien difficiles à atteindre dans le domaine des sciences sociales...
Émission "Matières à penser", animée par Serge Tisseron.
La question se pose depuis la naissance des sciences sociales : peut-on enfermer les comportements humains dans des formules mathématiques ? Parce qu’il répondait résolument par la négative, Auguste Comte avait forgé le terme de "sociologie" pour l'opposer à la "physique sociale" du statisticien Adolphe Quételet. Dans son ouvrage Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations, Pablo Jensen, physicien féru de sciences sociales, ouvre à nouveau le dossier.
Les économistes, les démographes, les sociologues, les politistes..., constate-t-il, sont tentés par la modélisation mathématique. Pour expliquer la croissance économique, la ségrégation urbaine ou encore les comportements politiques, ils utilisent des fictions raisonnées et ont recours à la simulation informatique. Aujourd'hui, certains spécialistes estiment même que, grâce aux big datas, le comportement humain serait prévisible à 93 %.
Pour montrer qu'en réalité nous sommes encore loin d'un tel résultat, Pablo Jensen ouvre la boîte noire des modélisateurs pour nous montrer à quel point la théorie est bien loin de la réalité des pratiques sociales. Certes, les modèles sont utiles mais les résultats de telles modélisations peuvent se révéler dangereux quand on commence à confondre le modèle avec la réalité sociale qui, elle, est plus imprévisible.
Une belle leçon de science et de modestie qui rappelle que le gouvernement des hommes doit être une affaire de délibération politique et non de calcul rationnel.
Un entretien mené par Vincent Debierre.
Dans un célèbre passage, Galilée écrit : "La philosophie est écrite dans ce livre immense perpétuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire l'univers), mais on ne peut le comprendre si l'on n'apprend pas d'abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres figures géométriques, sans l'intermédiaire desquels il est humainement impossible d'en comprendre un seul mot."
Evelyne Barbin nous propose une histoire de la révolution mathématique du XVIIe siècle, à l'intérieur de laquelle de nouvelles mathématiques ont été construites et la nature a été construite en termes mathématiques, en insistant particulièrement sur le rôle que Descartes y a joué.
À partir des années 1620, la science poursuit de nouveaux buts, il ne s’agit plus seulement de spéculer mais d’inventer, de résoudre des problèmes, de progresser et de maîtriser la nature. Le scientifique construit une réalité du monde à l'image de celle du monde technique, une réalité faite de quantités régies par des lois. C’est ainsi que les mathématiques vont remplacer la logique aristotélicienne dans l'étude de la nature. Les mathématiques ne sont plus purement spéculatives, mais elles sont inscrites dans la réalité du monde, elles permettent une compréhension de la réalité et une action sur elle. Ce nouveau statut appelle une transformation des mathématiques, de leurs méthodes, de leurs objets et de leurs significations.
Il y a cette petite histoire qu'on raconte souvent. Deux mathématiciens sont dans la brousse. Chaque soir, ils plantent leur tente sur un terrain dégagé. Un beau matin, l'un d’entre eux est réveillé par des bruits étranges. Intrigué, il glisse sa tête hors de la tente et voit son camarade qui court autour, en étant poursuivi par un lion. Il s'inquiète de son sort, mais l'autre lui répond d'une voix calme : "Ne t’en fais pas pour moi, mon ami, le danger est plus apparent que réel, car j'ai deux tours d'avance"…
Cet argument (qu'on n’est pas obligé de trouver rassurant) invite à interroger le statut des mathématiques : celles-ci sont-elles à la marge de la réalité empirique, confinées dans un monde séparé du monde physique ? Ou faut-il les inclure dans une sorte d'extension intégrale du réel ?
Dans la foulée de ces questions, d'autres se posent : peut-on écrire des romans mathématiques ? Quels liens y a-t-il entre mathématiques et musique ? Et que peut-on faire d'intéressant avec une plaquette de chocolat ?
Réponses avec le mathématicien Alain Connes, professeur au collège de France, titulaire de la chaire d'analyse et de géométrie et lauréat de la médaille Fields (1982).
Émission "La Conversation scientifique", animée par Etienne Klein.