Benjamin Disraeli (1804-1881), deux fois Premier ministre du Royaume-Uni, ne fit pas seulement figure de grand rassembleur de la nation anglaise en ouvrant les portes du conservatisme, longtemps chasse gardée des vieilles familles, à un électorat toujours plus large grâce au célèbre Reform Act de 1867. Il sut convaincre le pays tout entier, la reine en tête, que le jeu politique était un sport plus intense que les courses de chevaux, le hunting ou le cricket.
Il dut le succès de sa mission non pas aux qualités qu'elle requiert habituellement mais à une série de défauts tous plus admirables les uns que les autres. Né juif, sans fortune personnelle ni propriété terrienne, il s'était également bien gardé de décrocher un diplôme dans les incontournables public schools où se recrutaient les futurs membres du Parlement. Ses frasques de jeunesse, entachées de byronisme caractérisé, devaient le poursuivre pendant de longues années d'un parfum de scandale. Il embrassa par trois fois les graves fonctions de l'Échiquier (Finances publiques) alors que la prison pour dettes, fruit d'une imprévoyance toute dickensienne, le guettait dans l'ombre. Les démonstrations de mauvaise foi qu'il prononça à la Chambre des communes atteignirent parfois au sublime.
Renverseur farouche de majorités, il reprenait volontiers à des adversaires aussi affirmés que Peel ou Gladstone leurs propres idées. Ses disputes avec la reine Victoria, dont il contribua à rétablir le prestige, rappelaient ses propres empoignades conjugales.
Il en remontra à Bismarck, lors de la crise des Balkans qui devait se résoudre par le Congrès de Berlin de juin 1878, sans savoir que l'armée britannique n'avait pas les moyens d'une réponse militaire. Bref, son culot légendaire suffit à transmettre à la nation tout entière une envie de gagner que rien ne devait plus décourager....
Confucius disait que bien gouverner commence par la maîtrise exacte du sens des mots. Cette sagesse nous rappelle que le tissu que l’on dit social est avant tout un tissu sémantique et archaïque, qui se tisse, se retisse et s’abîme comme la tunique de Pénélope. Un maillage de mot, d’idées, de réflexes sédimentés, de réactions automatiques qui forme un surmoi de mots agencés en visions du monde cohérentes dont le seul but est l’autoconservation et la permanence sous un couvert d’écumes.
Aujourd’hui la révolution de l’individu prend son tournant "kronosique" au sens de Kronos le dieu qui mange ses enfants. Coupé du ciel, l’individu est coupé des siens. Aujourd’hui l’individu est seul, triste mais surtout ne peut verbaliser son état, première étape d’une hypothétique guérison. Ce manque de mot est cause et conséquence de l’effondrement des représentations.
Plus grave encore, les représentations les plus simples et les plus structurantes, comme la famille et d’autres représentations infra-politiques sont happées par cette horizontalisation technicienne et libérale, résumable par "tout et tout de suite".
La prochaine tentative de réforme intellectuelle et morale devra se dresser pour rétablir au moins l’obligation de survie au sein de nos représentations, afin que nos idées, aujourd’hui sous l’emprise d’un constructivisme de tous les instants, ne nous soient pas fatales.
Elle devra prendre pied sur nos grands récits, seuls legs d’immortalité réelle car ils expliquent les grandes traces du passé alors que la pierre n’explique rien par elle-même.
Et s’il était trop tard ? Alors il faudra raconter et mourir, une dernière fois, poser les actes les plus simples et les plus essentiels d’une civilisation.
De partout fusent des réquisitoires contre la France, l’accusant d’avoir fait et défait l’histoire dramatique d’un petit pays d’Afrique centrale, le Rwanda.
Les uns regrettent que la France n’ait pas agi assez vite et efficacement pour contrer le génocide de 1994, tandis que d’autres lui reprochent un engagement excessif. D’aucuns vont jusqu’à prétendre que son soutien militaire au Rwanda aurait constitué un encouragement au génocide tutsi. D’autres affirment que ce génocide aurait pu se produire dès 1991, lorsque le FPR a lancé sa deuxième offensive et occupé les préfectures du Nord, si la France n'était pas alors intervenue.
Quel fut donc le rôle de la France dans la guerre du Rwanda, commencée en octobre 1990, qui se transforma en folie meurtrière collective à partir du 6 avril 1994 ? Que fit la France, mandatée par l'ONU, pour aider ce pays à éviter l’apocalypse ? Qu’aurait-elle dû faire qu’elle n’a pas fait ? Et les autres puissances occidentales ?
Pourquoi la France est-elle, seule, l’objet d’accusations de complicité de génocide de la part du gouvernement rwandais actuel et de ses alliés ? La France de Mitterrand et Balladur a-t-elle vraiment participé au génocide des Tutsi ?
De nombreux travaux paraissent pour identifier les causes de la crise de l’idée européenne, mais peu d’entre eux creusent le sujet jusqu’à la racine, comme le dernier livre de Pierre Le Vigan. Celui-ci est d'ailleurs sous-titré "La philosophie politique et la genèse de l’impuissance européenne".
Parmi les causes de cette impuissance, l'auteur pointe les "belles idées" qui tournent au cauchemar car mal interprétées : liberté, égalité, morale, droits de l’homme, démocratie, etc. Pis, l’Europe ne s’aime pas et pratique le déni – quand ce n’est pas la haine de soi : "On préfère tout ce qui n’est pas nôtre. Chacun y plante et cultive ses croyances. Toutes les diversités sont bonnes sauf celles d’Europe."
A force de se penser seulement en termes économiques, celle-ci est devenue une simple zone marchande, informe et fluide, un néant (et un nain) politique : "Impuissante à vouloir, impuissante à se vouloir." Oui, la crise européenne est d’abord une crise d’identité. Les responsables ? Pierre Le Vigan rappelle les propos de Pierre-André Taguieff, pour qui l’Europe est "gouvernée par des super-oligarques, caste d’imposteurs suprêmes célébrant le culte de la démocratie après en avoir confisqué le nom et interdit la pratique".
D’où l’urgence de retrouver la voie du politique et de la puissance. Comment ? Certainement pas en s’identifiant à un Occident de plus en plus caricatural. Pierre Le Vigan penche pour une Europe impériale (mais non impérialiste), seule capable de faire face aux géants que sont les Etats-Unis et la Chine.
Dense, d’une grande clarté et d’une érudition sans faille, le travail de Pierre Le Vigan, qu'il présente pendant cette conférence, sera appelé à faire date.
Nous sommes en train de vivre un bouleversement géopolitique sans précédent. Alors que la majorité des acteurs internationaux reconnaissaient encore le principe d'intangibilité des frontières, plusieurs crises récentes semblent faire voler ce principe en éclats.
Les frontières sont bafouées en Ukraine (question de la Crimée), dans la vision de l'Islam radical (dissolution du concept de frontière dans l'Oumma), et dans l'expantionnisme maritime chinois.
Face à cette nouvelle donne, que devient cet ensemble d'Etats de droit lié par un héritage chrétien, que l'on appelle encore l'Occident ?
Le débat politique contemporain semble être réduit à un conflit permanent où des individus se jettent leurs opinions au visage, sans forme de dialogue constructif possible.
C'est le déploiement avancé de la logique libérale qui vient contrecarrer une tradition occidentale bien établie qui se faisait honneur d'utiliser la raison pour produire, valider et défendre des propositions.
Quand tout devient réduit à une histoire de goût, comment formuler alors une critique cohérente du système dans lequel nous évoluons ?
Cette rencontre entre le philosophe Robert Redeker et le Général Vincent Desportes est l'occasion de mener une réflexion sur la figure du soldat et sur l'actualité de la guerre.
En effet, on observe un changement radical : alors que le soldat se battait auparavant pour une nation, il est aujourd'hui devenu un militant idéologique qui protège des idées (démocratie, droits de l'homme).
La guerre aussi à changé de visage. Le paradigme napoléonien (batailles rangées, guerres rapides) a laissé la place au paradigme de paix : il n'est plus question d'employer la puissance dévastatrice comme argument.
Comment penser ces évolutions, et comment y faire face ?
Une seule chose est sûre : la guerre sera, tant qu'il y aura des hommes.
Après avoir terminé ses deux thèses de doctorat, Rémi Brague a entreprit un travail "grand public" qui l'a amené à écrire deux trilogies différentes, triologie qui balaient la totalité de l'histoire de la philosophie occidentale.
Le dernier livre qu'il vient de sortir s'interroge sur le concept de "modernité", pour lequel il plaide un consommation modérée !
Il passe en revue les idées centrales de notre époque : la raison, la sécularisation, la démocratie, et l'opposition progrès/obscurantisme, pour en montrer les limites et les dangers.
Une réflexion nécessaire sur une époque qui se regarde avec complaisance, et qui a volontairement oublié ses prédecesseurs.