Paul Valéry disait qu'il se demandait ce qui l'étonnait le plus en lui "de l'érudition immense ou de l'imagination des idées, toutes deux prodigieuses", et Henri Bergson que son œuvre était "unique en son genre, intuitive autant qu'intelligente, créatrice autant qu'informatrice, synthèse vivante des connaissances les plus variées et de tous les jaillissements de la pensée".
Le personnage célébré de si flatteuse façon, c'était Albert Thibaudet. Un auteur dont la figure et les écrits ont marqué le monde littéraire, intellectuel et politique du premier tiers du XXe siècle, à la rencontre de la critique littéraire, de l'histoire des cultures civiques françaises et de plaidoyers pour une Europe pacifiée.
Un auteur qui donne le goût de se demander ce qu'il peut avoir encore à nous dire, après un siècle ou à peu près, dans une France qui a tellement changé depuis son époque.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
1930-1983 : Ernst Jünger, le soldat héroïque, et Carl Schmitt, le juriste d'exception, ont entretenu la plus foisonnante et la plus passionnante des correspondances pendant plus de 50 ans. Un échange épistolaire exceptionnel de 426 lettres ou cartes, dont 249 de Jünger et 177 de Schmitt, enfin publié en co-édition par les éditions Krisis et les éditions Pierre-Guillaume de Roux.
À leur lecture, une évidence s'impose pour la première fois : ces deux figures de la Révolution Conservatrice allemande avaient en commun une sincère passion de la France. On les savait francophones, on les découvre francophiles. À l'origine de (presque) chaque lettre : la littérature française.
Ce sont plusieurs écrivains, éditeurs, traducteurs, universitaires et personnalités politiques qui se succèdent dans ce colloque pour évoquer les deux européens d'exception, l'un et l'autre témoins de premier plan des événements les plus tragiques du XXe siècle, que sont Ernst Jünger et Carl Schmitt.
Dimanche 28 juin 1914 : l'archiduc François-Ferdinand, en visite officielle à Saravejo, est abattu d'un coup de feu. L'assassinat de l'héritier du trône d'Autriche-Hongrie par un nationaliste serbe, prêt à tout pour déstabiliser la région, ne tarde pas à embraser le monde ; 34 jours plus tard, l'Europe entre en guerre.
François-Ferdinand est devenu l'héritier de François-Joseph, sans y avoir été préparé, en quelque sorte par accident ou plus exactement dans des circonstances dramatiques : la mort de son cousin Rodolphe à Mayerling en 1889, puis celle de son père en 1896. Mort sans avoir eu l'occasion de donner sa mesure et de régner, François-Ferdinand se révèle une personnalité plus complexe qu'il n'y paraît.
Connu pour ses coups de sang, l'homme est doté d'une incroyable énergie, affectionnant la vie familiale - il s'est en outre mis au ban de la dynastie en épousant une jeune femme bien au-dessous de sa condition. Catholique conservateur, méfiant à l'égard des Hongrois et des Italiens, il s'est souvent prononcé en faveur de la paix, a tâché de moderniser l'armée et a suivi avec sympathie le renouveau artistique de l'époque.
Enfin, il est convaincu de la nécessité de réformer la monarchie : François-Ferdinand, "l'homme qui aurait pu sauver l'Autriche" ?
Émissoin "Les mardis de la mémoire", animée par Anne Collin et Dominique Paoli.
Né à Tlemcen (Algérie) le 19 septembre 1908 dans une famille juive, Paul Bénichou deviendra l'un des très grands historien de la littérature en France au XXIe siècle.
Auteur d'une œuvre considérable et variée, en marge des différents courants critiques de son temps, il ne cessera d'étudier les rapports entre l'écrivain et la société dans laquelle il se trouve.
Retour sur une trajectoire unique en compagnie de ses proches et des meilleurs connaisseurs du domaine.
Une émission produite par Jacques Munier.
Hindenburg (1847-1934), président de la République de Weimar pendant dix ans, porte la responsabilité d'avoir appelé Hitler au pouvoir. Mais loin d'être une erreur de vieillesse, cette décision est dans le droit-fil de toutes ses positions antérieures. Elevé dans le culte de la grandeur et de la toute-puissance de l'Allemagne, il n'a jamais répugné à tomber dans l'excès voire l'extrémisme.
Couvert de gloire (largement usurpée) au début de la Grande Guerre alors même qu'il était déjà à la retraite, Hindenburg a ensuite constamment abusé de son image pour exercer le commandement suprême et surtout s'immiscer dans les affaires politiques, quitte à desservir les institutions et les personnes qu'il révérait pourtant le plus, rompant avec ses amis les plus proches et plaçant l'empereur Guillaume II lui-même dans des impasses. Pur produit de la caste des Junkers, il intrigue pour pousser les chefs militaires et politiques à la démission. Il impose la guerre sous-marine à outrance et refuse toute paix de compromis. Hindenburg a pris une large part aux malheurs de l'Allemagne et a été, après la guerre, le grand champion de la fiction du "coup de poignard dans le dos", l'argument massue des nazis pour fanatiser les foules allemandes.
Le grand spécialiste des mondes germaniques qu'est Jean-Paul Bled revient en détails sur la trajectoire de cet homme largement néfaste.
Émission des "mardis de la mémoire", animée par Anne Collin et Dominique Paoli.
Spécialiste de l'histoire des mentalités, originaire d'un milieu maurrassien, Philippe Ariès -qui se qualifiait lui-même d'historien du dimanche- s'impose désormais dans le milieu universitaire comme une référence pour ses travaux sur la mort et l'enfance.
Guillaume Gros, spécialiste de son oeuvre, a récemment sélectionné une série de ses principaux articles parue aux Editions du Cerf. Cette édition inédite se divise en deux parties. La première, "Rajeunir l'histoire", rassemble des textes de Philippe Ariès à propos des civilisations, où il évoque les religions depuis l'Antiquité jusqu'à la Révolution, la Méditerranée, Byzance, l'Afrique du Nord, l'histoire des Parisiens au XIXe siècle ou encore le syndicalisme français. L'occasion pour l'historien de dessiner des portraits savoureux de Charlemagne, Charles Quint, Machiavel, Louis XIII et même Marc Bloch. La seconde partie, "Cheminements", permet de comprendre les origines de ses théories en redécouvrant trois thèmes essentiels de ses travaux : l'égo-histoire, où il revient sur sa vocation, la place de l'enfant dans la famille, et enfin le rapport de nos sociétés à la mort.
L'occasion de revenir, en la compagnie de Guillaume Gros, sur la vie et l'oeuvre de cet historien original qui aura marqué son époque.
Émission "Pourquoi tant d'Histoire" animée par Christophe Dickès.
"Ubuesque" : voilà bien un adjectif qui s'est imposé tranquillement - où plutôt de façon tonitruante - dans notre parler quotidien. Le précieux dictionnaire du CRTNL, le Centre national de ressources textuelles et lexicales, donne cette définition : "ubuesque : qui évoque le grotesque du père Ubu par un despotisme, une cruauté, un cynisme, une forfanterie d'un caractère outrancier ou par des petitesses dérisoires".
On trouve peu de personnages de la littérature qui aient mérité sa postérité de la sorte en imposant un vocable qualificatif. Plus d'un siècle après la première représentation, retentissante d'Ubu Roi, la pièce majeure d’Alfred Jarry, le 9 décembre de l'an de grâce 1896, au théâtre de l'Œuvre, à Paris, son personnage impose encore, de la sorte, une présence dont une multitude de pièces à succès de l'époque sont absolument dépourvues : celles-ci ont été englouties dans le gouffre impitoyable de l'oubli d'où personne ne songe à les repêcher.
Donc, on est intrigué. Donc on est porté à s'interroger sur les ressorts de cette permanence enviable et en somme de cette durable actualité du roi Ubu. Ces ressorts, faut-il les chercher du côté d'une extravagance qui surmonte toutes les fantaisies de son temps ? D'une profondeur humaine qui fait fi des conventions superficielles du provisoire ? D'une philosophie désinvolte de l'absurde qui frôle une éternité ?
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
Le philosophe polonais Leszek Kolakowski (1927-2009), grand intellectuel européen du XXe siècle, est l'auteur d'une oeuvre abondante et variée, relevant à la fois de l'histoire des idées, de l'histoire religieuse et de l'essai philosophique. Il fut aussi un écrivain drôle et spirituel, cultivant le goût du paradoxe, la mise en question sceptique de toutes les évidences établies, sans déboucher jamais sur un scepticisme absolu.
Séduit dans sa jeunesse par le communisme, il ne tarda pas à s'en détacher et à analyser le marxisme de l'intérieur. Le stalinisme n'est pas un accident, il est inscrit en germe dans la folle et splendide ambition de Marx : faire retourner l'homme à son unité perdue. Ainsi redécouvre-t-on la signification d'un christianisme marqué par les thèmes de la perte de l'innocence et du clivage anthropologique, qui peut apprendre aux hommes à vivre dans l'imperfection irrémédiable de leur être, sans pour autant sombrer dans le désespoir.
Il en ressort une conception politique reconnaissant l'importance des médiations et des institutions, ainsi qu'une vision de la spécificité de l'Europe comme la civilisation qui a su mettre en question la supériorité absolue de ses propres valeurs et rendre possible l'universalité humaine.
Émission "Répliques", animée par Alain Finkielkraut.