Historien d'avant-garde, longtemps solitaire, brusquement célèbre, Philippe Ariès (1914-1984) a pressé notre passé de quelques questions aussi nouvelles que fondamentales : quelles étaient les attitudes de nos ancêtres devant la naissance, l'enfance, la famille, la sexualité, la mort ?
Avec lui, la vieille histoire historisante, la chronique des grands, les événements politiques, les guerres entre les peuples ont pris figure d'anecdotes : le tuf de notre passé est ailleurs, en deçà de nos consciences et au-delà de nos manuels.
Personnalité peu commune en qui de nombreuses contradictions coexistaient joyeusement, Philippe Ariès se riait des étiquettes sous lesquelles on voulait consigner les individus et contenir les passions. S'il aimait une chose entre toutes, c'était la liberté de l'esprit, comme en témoignent les différents intervenants qui l'ont bien connu de son vivant.
Émission "Nuits magnétiques", animée par Roger Chartier.
La gouaille de Michel Audiard a renouvelé l'art du dialogue et durablement marqué le cinéma de son empreinte. Une écriture nourrie par la biographie du Titi parisien, pris dans les soubresauts de la guerre, puis les temps difficiles de la reconstruction, jusqu'à l'entrée fracassante de sa parole au cinéma, portée par les plus grands acteurs.
Une musique du Paris oublié, riche d'une langue qui témoigne de l'histoire des classes populaires et devenue emblématique du cinéma français d'après-guerre pour une trajectoire qui se confond avec celle du cinéma populaire et de ses vedettes.
Émission "Toute une vie", produite par Anaïs Kien.
De nombreux adolescents ont découvert au collège dans les années 80 ce témoignage à la première personne d'une jeune fille allemande se prostituant pour payer sa dose quotidienne d'héroïne dans le Berlin-ouest des années 1970. Le récit de cette dérive dans les bas-fonds est devenue une lecture de référence pour les adolescents et continue de se vendre aujourd'hui.
Le livre paru en 1978 a choqué, fait frémir, fasciné. Un morceau de vie qui a bouleversé bien au-delà de l'Allemagne divisée par le Mur. Traduit en dix-huit langues, il s'est vendu à cinq millions d'exemplaires dans le monde. En Allemagne, le livre a même été imposé comme lecture obligatoire dans les écoles, comme un contre-exemple. C'était une des premières fois qu'un livre, puis son adaptation en film, parlait aussi directement, si ouvertement de la drogue et ses conséquences. Il est devenu le livre d'une génération, appelée génération No future qui écoutait du punk et ne craignait pas de flirter avec la mort, dans une société où la répression montait afin de museler la subversion. Fini le Flower Power, la jeunesse allait rentrer dans l'ordre ou dans le trou.
Que se passait-il dans ce livre pour que Christiane F. devienne une icône dans les cours de bahuts et les chambres d'ados esseulés ? Comment ce mythe parle-t-il de l'adolescence et de sa fragilité ?
Départ pour Berlin sur les traces de l'icône destroy des années 80 et de ses lecteurs fascinés par cette histoire sulfureuse.
Émission "LSD", produite par Perrine Kervran.
"Il mena une vie étrange où il est difficile de déceler la part de la vérité et celle du cynisme et de la mystification", assure le Larousse au sujet d'Alfred Jarry.
Pour célébrer le génie de l'auteur d'Ubu roi, pataphysicien disparu il y a tout juste un siècle, nous est présentée une émission iconoclaste qui tient de la "marqueterie sonore", assemblant des morceaux de fiction, d'interviews et de chansons. Mêlant formidablement les genres, elle est un bel hommage à la mémoire du créateur du père Ubu. Pas un de ces hommages distingués que l'on prononce sur le ton emprunté de "l'émotion profonde", mais un hommage très sérieux quant au fond et doucement rigolard sur le dessus : un hommage digne de celui qui en était l'objet.
Émission "Les samedis de France Culture", animée par Georges Charbonnier.
Qui est vraiment Sigmund Freud ? Pas un dieu tout-puissant ni un charlatan, mais un Freud qui rêve tout haut, dissèque les anguilles, prend de la cocaïne, cite Shakespeare, aime l'humour juif et cultive la compagnie des femmes d'esprit. Un Freud inédit qui parle à la première personne.
Une série documentaire produite par Christine Lecerf et réalisée par Julie Beressi.
Jules Vallès fut un personnage dont la démarche, les passions, les actions restent vivantes. Un journaliste, un écrivain qui déploya ses combats depuis la fin de la Monarchie de Juillet et la Révolution de 1848 jusqu'aux premières années de la Troisième République, en passant par la Commune de Paris, qui fut pour lui essentielle.
Il a les honneurs de la bibliothèque de la Pléiade pour la trilogie d’une autobiographie romancée : L'Enfant, le Bachelier, l'Insurgé. Il avait choisi d'intituler son premier livre, un recueil d’articles paru en 1865, Les Réfractaires. L'adjectif lui va bien. Il le préférait aux termes de "rebelle" ou de "révolté" qu'on lui a souvent accolés. "Insoumis" ne serait pas mal venu non plus.
La société où il a grandi, celle de la seconde révolution industrielle, qui fut si dure aux prolétaires, et qui porta l'émergence d'une nouvelle classe moyenne, cette société où la circulation de l'information, des indignations, de la propagande se fondait exclusivement sur l'écrit et était si étroitement surveillée, cette société était d'une nature bien différente de la nôtre. Et pourtant nos angoisses contemporaines peuvent susciter des cris qui ne sont pas sans faire écho aux siens.
Émission "Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney.
Au printemps 1944, un philosophe français qui s'était intéressé de très près aux mathématiques était fusillé par les Allemands dans la Citadelle d'Arras. Il venait d'avoir quarante ans et s'appelait Jean Cavaillès. Ce philosophe, qui avait été reçu major au concours d'entrée à l'Ecole Normale en 1923, n'aimait guère les tours d'ivoire. C'est pourquoi il fut aussi un combattant, un résistant, un chef de réseau, un homme d'action et même de coups de main : avec quelques copains, il fit gaillardement sauter des ponts, des transformateurs, des trains et des usines.
Jean Cavaillès fut en somme "un philosophe mathématicien bourré d’explosifs", pour reprendre les mots de Georges Canguilhem. Le mot explosif était ici à prendre au sens propre et au sens figuré, car sa pensée était elle aussi radicale : selon lui, la tâche de la philosophie est de substituer au primat de la conscience le primat du concept. La philosophie doit refuser le déclin de la preuve pour devenir fille de la rigueur, c'est-à-dire s'apparenter davantage aux mathématiques qu'à la littérature : philosopher, c'est démontrer, et non pas verser dans le psychologisme ; philosopher, c’est une affaire de concepts plutôt que l'épanchement des états d’âme de l'intellect. Car la recherche de la vérité réclame qu'on s'oublie un peu.
Si Cavaillès est entré en résistance, c'est non par appartenance à une ligne politique, mais "par logique" : la lutte contre l'inacceptable est inéluctable, donc nécessaire, un point c'est tout. Par lutte, il ne faut pas entendre l'indignation chuchotée dans les couloirs, le porte-à-porte patriotique ou l'alimentation des boîtes aux lettres en tracs vengeurs. Par lutte, il faut entendre ici le combat les armes à la main.
Arrêté et emprisonné à plusieurs reprises, évadé chaque fois sauf la dernière, il ne renonça jamais, ni à l'action la plus subversive, ni à la réflexion la plus abstraite. En 1942, dans la solitude héroïque d'une prison, il écrivit un ouvrage intitulé Sur la logique et la théorie de la science, qui ébranlera plus tard la scène philosophique.
Cavaillès fut arrêté par la Gestapo en août 1943, à Paris, puis condamné à mort et exécuté cinq mois plus tard, en février 1944. Son cadavre fut jeté dans une fosse commune, avec comme seule indication "l'inconnu n°5". Ceux qui le fusillèrent n'avaient sans doute pas à l'esprit que pour un philosophe mathématicien, être appelé l' "inconnu", cette chose que les mathématiques permettent de réduire calmement par le calcul, c'était la plus belle des épitaphes.
Mais qui donc était cet homme, Jean Cavaillès ?
Émission "Science en questions", animée par Etienne Klein.
Écrites un demi-siècle durant, de la veille du premier conflit mondial (1913) à la fin de la Guerre d'Algérie (1962), les 492 lettres et cartes échangées par Louis Massignon (1883-1962) et Jacques Maritain (1882-1973), Raïssa Maritain (1883-1960) y figurant plus passagèrement, apparaissent comme un des grands dialogues spirituels du xxe siècle. Un concert intérieur tendu et vibrant qui unit deux hommes apparemment dissemblables mais que soude l'essentielle vérité : celle de leur foi en Christ. En effet, si Maritain est l'homme de la clarté radieuse, d'explicitations calmes et rigoureuses, proche des milieux artistiques et cheville ouvrière d'un néo-thomisme où la raison rayonne, portée par la grâce, un défenseur d'Israël persécuté, Louis Massignon, professeur au Collège de France, initiateur de l'islamologie mystique par ses travaux sur Hallaj, incarne la passion doloriste et sacrificielle d'un catholicisme issu de Huysmans et de Charles de Foucauld, une âme encordée à la Croix du Golgotha, marquée par le message de Gandhi, dont la vocation fut la défense des plus pauvres, au premier rang desquels les victimes de l'ordre colonial et le peuple palestinien. Massignon-Maritain, fraternellement dissemblables, que des combats et des dévotions communes surent néanmoins rapprocher : un amour pèlerin pour Notre-Dame de la Salette, une vision tragique commune de l'histoire, imprégnée du millénarisme d'un Léon Bloy, qui trouva à s'exprimer lors des multiples conflits qui marquèrent leur siècle. Un jalon essentiel, catholique, humaniste et mystique, pour la compréhension du XXe siècle.
Émission du "Libre Journal des chevau-légers", animée par Luc Le Garsmeur.